Shaynning
Libraire @ Librairie Monet
Intérêts littéraires : Biographies, Jeunesse, Littérature, Psychologie, Arts, Bande dessinée, Loisirs

Activités de Shaynning

Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

L'éléphant et le ouistiti

Par Sophie Lamoureux et Mercè Lopez
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Incontournable Mars 2023 Tombée sur cet album un peu par accident dans le nouvel- et premier!- arrivage pour le mois de Mars, je ne pensais pas tomber sur un album qui traiterait du registre émotionnel par les expressions de couleurs, doublé d'une petite leçon de sagesse sur une qualité incontournable elle aussi. Un éléphant se considère comme un roi de la jungle - vous savez, un peu comme ces petits caïds de cours de récréation que tout le monde craint parce qu'il est puéril et détestable, mais impossible à gérer? Voilà, c'est qu'on a ici, une petite brute de cours d'école imbuvable qui est plus costaud que les autres et jouit de sa capacité à arroser les autres animaux sous son joug grâce à sa trompe. D'ailleurs, il y a une petite couronne bleue dessiné au-dessus de sa tête, au cas où son statut ne serait pas limpide à vos yeux. Cet éléphant meuble son temps canardant les autres animaux d'eau, mais pour tromper son ennui, il aime aussi les paris. La plupart des défis qu'il lance aux autres animaux sont tout simplement impossible à réaliser, ce qui rend le tout risible et même dangereux pour la santé des autres animaux, qui n'éprouvent guère de plaisir. Néanmoins, un jour, un ouistiti prend l'un des paris: celui de déplacer un gigantesque baobab mort jusqu'au petit étang à quelques mètres de là, et ce, avant la fin de la journée. À partir d'ici, il y aura des divulgâches. Le ouistiti prend ses aises sur une branche du défunt baobab et attend. L'éléphant, perplexe, va progressivement passer par tout le spectre de nuances de la colère, d'abord avec le rire jaune malicieux , la colère qui "fait voir rouge", suivi du vert de rage, puis de la rage noire. Chacun de ces paliers vient avec un degré d'expression physique différent et sa couleur associée est peinte par-dessus l'animal, comme si son émotion s'exprimait aussi en couleur. Mais qu'est-ce qui met notre costaud caïd de la savane dans un tel état? le fait que le ouistiti se contente d'enchainer les poses tranquilles sur ce reste d'un représentant du plus gros arbre du continent? le fait qu'il persiste et signe: il VA gagner ce pari? En dépit de son inaction? Et il dit qu'il va employer une "toute petite chose toute simple" en plus?? Il y a de quoi devenir fou! Il se fout de lui! Comment peut-il gagner? Et c'est quoi cette chose? ON VEUT SAVOIR!! C'est précisément cet enchainement de frustration, d'impatience et d'incompréhension, alimenté par une bonne dose d'orgueil mal placé aussi, qui va décider notre éléphant, roi auto-proclamé de la brousse, à faire la seule chose qu'il sait faire, c'est-à-dire, attaquer l'autre. Dans un dernier sursaut d'impulsivité, il se met à pomper l'eau de l'étang jusqu'à le drainer complètement, puis vise le ouistiti frondeur et relâche le tout. Quand il reprend un peu contenance, l'éléphant devient blême de sidération: Désormais, sous le baobab, se tient l'étang. Dans son excès de rage hors de contrôle, l'éléphant a déplacé le point d'eau pour le ouistiti, avant la tombée de la nuit, tel que stipulé dans le pari. Et oui! Cette "petite chose toute simple"? La patience. Mais pas seulement. Il y a définitivement de la ruse et aussi une vérité qui fait souvent la différence dans un monde peuplé de nombreux abrutis: L'observation. Je m'explique. Je pense notamment à tous ces adultes qui piquent des crises, comme des enfants de 5 ans qui ne savent pas encore gérer leurs émotions, et qui répondent assez souvent par des actes violents comme des coups, des insultes ou du harcèlement envers ceux et celles qui ont le malheur de leur déplaire ou d'être sur leur route. Et que leur arrive-t-il bien souvent? Ils se mettent les deux pieds dans les plats. Pourquoi? Parce que quand on se sait pas se gérer, on devient plus facilement irréfléchi dans nos actions. Et on devient aussi plus facilement manipulable. Ici, notre ouistiti n'avait qu'à observer l'éléphant, remarquer qu'il est impulsif et comment il peut se servir de ce qui semble être sa plus grande force contre lui, c'est-à-dire, son canon à eau. Tôt ou tard, notre ouistiti a compris que l'éléphant perdrait patience et voudrait le punir en lui administrant la correction qu'il trouve amusante. Prévisible, en somme. C'est tout-de-même audacieux comme plan et bien sur, ça aurait pu ne pas marcher, mais au final, ce n'est qu'un stupide pari. Ah, mais il a gagné deux montagnes de bananes en rétribution, alors ça valait la peine! Surtout, face au fait qu'il a causé son propre échec en faisait exactement ce que le ouistiti attendait de lui, notre éléphant se sent bien petit. Ajoutant à cela le mépris condescendant qu'il entretenait envers le ouistiti, l'éléphant doit maintenant admettre qu'il s'est fourvoyer sur son compte. Il n'est pas seulement patient ce petite singe, il est aussi astucieux et rusé. J'ai envie de dire qu'à l'instar des grosses brutes dans le monde, ceux ne connaissant que le langage des violences et du snobisme gorgée de mépris et qui séduisent souvent que d'autres grosses brutes , ce sont les gens dotés d'intelligence, de patience et d'observation stratégique ( ou encore une fine connaissance ou analyse de l'adversaire) qui viendront à bout de ce genre de gros moron. Et puis, bien souvent, par leur étroitesse d'esprit et leur réactions explosives peu constructives, les grosses brutes sont aussi souvent les architectes de leur propre déclin. J'avais envie d'extrapoler sur cet axe, à l'heure où j'entends des individus valoriser le retours au fascisme ultra-violent, à la virilité toxique ou aux personnes qui confondent le discours émotif du discours rationnel, polarisant des débats et des enjeux autour desquels on ne peut plus rien dire sous peine de recevoir leur avis en pleine dents. C'est donc avec patience, diplomatie et en usant d'analyse qu'on en viendra peut-être à radoucir le ton. Peut-être. Nous en aurions bien besoin. En tout cas, merci à cet album pour m'inspirer toute cette réflexion dont je vous épargne les détails qui ne cessent de s'additionner dans mes pensées. Je pense que je vais ajouter cette oeuvre à ma liste sur le développement de l'esprit critique pour cette belle leçon servie dans un savoureux crescendo coloré. C'est ce qui fait ma joie avec les albums: des histoires courtes et simples, mais des réflexions intéressantes et plus profondes qui en découlent. Je vais mentionner aussi une chose sur le plan de l'émotion de la colère. Bon, déjà, elle ne se manifeste pas TOUJOURS de manière aussi explosive ( parce que OUI, la colère peut être implosive, donc en apparence être assez calme), mais même si c'est encore l'expression choisie ici, elle est néanmoins graduée. On a le rire moqueur et légèrement irrité au début, puis on monte vers les manifestations externalisées: yeux de plus en plus plissés, hurlement de plus en plus marqués, yeux désorbités, corps de plus en plus crispé, etc. La colère grimpe et devient si incontrôlable que l'individu perd toute retenue et commet un impair, puisqu'il ne réfléchissait plus du tout. C'est ça le soucis avec une émotion mal gérée et en plus désagréable, on ne se contrôle plus et on commet des erreurs qu'on risque de regretter par la suite, soit parce qu'elle brise notre réputation ou notre image idéal de soi, soit parce qu'elle nous a poussé à agir ou dire des choses qui font du mal aux autres, ou encore, qui nous nuit personnellement ( comme l'éléphant qui sabote par erreur sa propre victoire). On pourrait en parler avec la jalousie, avec le chagrin ou encore la peur. Enfin, je ne peux pas contourner l'enjeu lié à la taille et la perception de la force en fonction de celle-ci. Je résumerais en disant qu'on a un David contre Goliath ici, avec un personnage minuscule en comparaison de l'autre, mais qui a un atout dans sa poche. La force n'est pas qu'une question de taille, elle est aussi affaire d'esprit, ce dont manque l'éléphant, manifestement. Ce que j'aime dans cette histoire, c'est que notre ouistiti semble confiant en son approche et il faut une dose de confiance en soi pour se montrer audacieux. Il sait que l'éléphant a des points faibles et les retournent contre lui. Tout le monde est vulnérable, c'est ce qui fait notre humanité et notre équité. Et face à ceux et celles qui l'oublient, il est parfois bon de leur rappeler. C'est donc une leçon d'humilité que reçoit aussi notre éléphant. Peut-être sera-t-il moins tyrannique à l'avenir, qui sait? Le tout est servi dans un style graphique un peu sketchy, où la peinture est jeté et traitée comme si elle était habitée de la même colère impatiente que l'éléphant. le trait est très anguleux et me rappelle un peu la pointe raide de la plume plutôt que les courbes du trait du stylo. Ce n'est donc pas le traitement "propre et net" auquel je suis plus habitée, mais j'aime le rendu qui sert bien son sujet. Et que dire du choix des poses de notre ouistiti, elles donnent aussi un bon indice du calme du personnage. Bref, un coup de coeur inattendu, dont j'ai hâte de pouvoir discuter plus amplement avec les profs du niveau primaire, dont on pourra aussi bien accrocher le lectorat du 1er cycle que celui du 2e et 3e, surtout sur les enjeux sociaux que j'ai évoqués plus longuement. Et la gestion de la colère reste un sujet toujours pertinent, peu importe le lectorat. Pour un lectorat à partir du premier cycle primaire, 6-7 ans et les lectorats jeunesse suivant, bien sur.
Shaynning a apprécié et noté ce livre

Le château solitaire dans le miroir

Par Mizuki Tsujimura
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
0 commentaire au sujet de ce livre
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

Mon enfant est meilleur que le tien !

Par Alain M. Bergeron et Marjorie Blais Simard
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Je remercie la maison Québec Amérique pour l’envoi de ce service de presse à notre librairie. Il est assez courant de voir de jeunes personnages avoir du mal à se gérer sur le plan émotionnel en littérature jeunesse, mais pour une fois, ce sont les parents qui auraient besoin d'un cours 101 sur la gestion de soi. Yeah, allons-y gaiement! Parents d'estrades à la limite parents-entraineurs, Josette et Théodule sont convaincus que LEUR enfant, respectivement Sydney et Marie-Philip, est LE/LA meilleur.e! Si les deux parents savent être solidaires envers leur enfant et savent collaborer dans les vestiaires, ils ont cependant un vilain travers: Leur esprit de compétition un chouia trop féroce. Leurs altercations explosives font la honte de leur enfants, qui ne savent pas trop comment réagir. Un jour, quand leur rivalité mal placée prend une fois encore de la place dans les gradins, un arbitre se sent obligé d'intervenir en les menaçant d'une place au banc des pénalité "pour mauvaise conduite". Penaud, les deux parents admettent qu'ils ont sans doute exagéré et qu'après tout, peut-être que l'enfant de l'autre est meilleur que le leur? Non mais, c'est clairement Marie-Philip qui est meilleure que Sydney. QUOI? Mais non, c'est Sydney qui est meilleur que Marie-Philip!! ET c’est reparti pour un tour de manège! Ah, les parents! C'est drôle, on parle souvent d'eux dans les romans, mais pas tant que ça dans les albums, sauf pour les illustrer comme des figures sécurisantes, avec raison. C'est dommage, il y a tant à dire sur le rôle parental, un des rôles les plus riche et les plus exigeant que peut avoir une personne adulte. Et les parents ne sont pas infaillibles et dénués d'enjeux personnels. Et quand le rôle de parent côtoie de près celui d'entraineur, ça peut devenir difficile de concilier les deux. J'ai l'impression que Josette et Théodule oublient un peu leur rôle de partenaires à la pratique du sport de leur enfant pour s'attarder sur leur esprit de compétition personnel. Les deux sont d'ailleurs d'anciens joueurs de hockey et l'histoire le dit, ils ont plus ou moins tiré un trait sur leurs aspirations sportives. Oho? Est-ce qu'on a un peu de projection de leur rêves sur leurs enfants? Peut-être! On pourrait presque faire un autre tome sur ce point précis. Après tout, Marie-Philip et Sydney, dont même les prénoms sont ceux de grand.e.s joueur.se de hockey, ont peut-être d'autres aspirations ? J'aime les albums qui parlent des émotions chez les adultes. Pourquoi? Parce que pour des raisons sociales, on a tendance nous, les adultes, à vouloir cacher nos émotions face aux enfants, que ce soit pour donner l'exemple ou parce qu'on craint d'ébranler les jeunes. Néanmoins, si les enfants ne voient pas les adultes réagir et gérer de manière efficace leur émotion, comment vont-ils l'apprendre? Bon, je ne dis pas de prendre exemple sur ces deux écureuils qui ne gèrent pas leur esprit de compétition, exagèrent éhontément et en viennent même à se chamailler physiquement, mais il est bon de montrer que même les adultes ne sont pas toujours bons en gestion émotionnelle. Aussi, le livre permet de parler d'un état émotif désagréable, soit un mélange de colère et de jalousie qui sont alimentés par une rivalité malsaine. Plutôt que de rester dans les encouragements qu'ils sont tout-à-fait capables de faire, ils reviennent au fait qu'un "Meilleur" doit se dégager du duo. Mais honnêtement, qu'est-ce que ça change? Dans les faits, rien du tout, mais ça donne lieu à des prises de bec passablement violentes ( cris et coups) et honteuses pour les deux enfants qui les regarde. Et ça ce n'est pas rien. Pour ce qui est du graphisme, c'est mignon, dans un décor foisonnant de référentiel de bois puisque les personnages sont des écureuils ( Avis à mes profs qui me demandent des albums avec des personnages animaliers, on a des écureuils!) . J'aime également que les deux personnages soient un garçon et une fille, parce que de vilains préjugés courent toujours sur les moindres capacités des filles dans les sports, malgré nos nombreuses championnes dans ce sport ( L'équipe canadienne féminine de hockey gagne l'or à chaque Jeux Olympique, je dis ça comme ça...). N'empêche que je me demande comment on "traite" la rivalité malsaine chez les parents comme chez les joueurs? Est-ce que les acteurs du sport comme les arbitres et les entraineurs ont des leviers pour gérer ça? Quels sont les trucs pour assainir ou maintenir sain son esprit de compétition ( quand on en a un) ? Dans l'album, le problème reste entier, mais heureusement que l'arbitre leur a clairement signaler que c'était là un piètre comportement, une "mauvaise conduite" passible du banc des pénalités. Après tout, dans le sport, il faut avoir "L'esprit sport", et dans cet esprit, on respecte les autres. Pas vrai, Josette et Théodule? Je pense que les vieilles habitudes ont la vie dure dans leur cas, mais il y a toujours place à amélioration. Pour un lectorat débutant du premier cycle primaire, 6-7 ans pour la lecture par un lecteur confirmé, mais au 2e cycle primaire, 8-9 ans pour la lecture en solo.
Shaynning a apprécié, commenté, noté et aimé un commentaire à propos de ce livre

Plume et l'ombre du dragon

Par Agnès Marot et Céline Deregnaucourt
(4,5)
1 personne apprécie ce livre
2 commentaires au sujet de ce livre
1 commentaire plus récent
Incontournable Novembre 2022 Agréablement surprise par la richesse de ce roman relativement court, "Plume et l'Ombre du dragon" propose une héroïne remarquable, mais également une ode au deuil lié à la disparition d'un parent et de l'importance des histoires. Plume est une piratesse d'ombres, ce qui fait d'elle une chapardeuse professionnelle. La jeune fille a la capacité de voir et de convaincre les ombres de quitter leur maître, qu'elle peut ensuite vendre au marché noir contre un peu de nourriture. En réalité, elle ne le fait pas souvent, car elle garde avec elle un nombre appréciable d'ombres de toute sorte, avec qui elle partage sa grotte. Chaque nouveau membre partage avec eux son Histoire. Voilà qu'en libérant l'ombre d'une licorne peureuse, Plume découvre par son ombre, Bucéphale de son nouveau nom, qu'un ultime dragon existe encore. Que d'histoires elle doit connaître cette ombre! L'audacieuse et intrépide piratesse s'embraque donc pour une aventure, en quête de cette ombre. La critique va contenir des divulgâches - et des ombres sympathiques. Déjà, quelle idée charmante que d'avoir imaginé une voleuse d'ombre telle que Plume. Son tempérament frondeur, son culot et sa détermination me rappelle le personnage désormais célèbre de Lyra Ballecroix, de la Croisée des mondes. Je trouve de plus en plus de ces héroïnes charismatiques, culottées et courageuses dans la littérature jeunesse. Juste ce mot-ci, il y a eu "Une vie pour Matzi", "Ilona Melville et les zéros de l'histoire", ainsi que "Bande à part". Bref! Je me réjouis de voir ces héroïnes que rien n'arrête et qui ont une impertinence délicieuse. Plume a néanmoins une belle empathie, qui lui confère ce charme attachant auxquels semblent sensibles les ombres. Il s'agit davantage d'une relation de famille qu'une relation de maître-domestique qui caractérise la relation de Plume avec ses ombres. Alors qu,elle devait vendre Bucéphale au marché noir, elle y renonce, quand elle voit à quel point Bucéphal lui est reconnaissant de s'être fait libéré. Dans cet univers Fantasy aux inclinaisons de Merveilleux, de Contes et de Folklore, les Ombres sont les doubles de chaque entité vivante. Ils sont coincés sous leurs pattes et ne possède pas de noms. C'est donc toujours étonnés d'avoir été "vus" qu les ombres de Plume la rencontre. Ils se donnent alors un prénom et raconte leur histoire. Nous avons tout un tas d'origines: une belette, une licorne, un poisson volant, une reine sans royaume, un tricératops à trois tête, un renard à neuf queues, un loup déguisé en grand-mère, un serpent-liane narcoleptique, etc. Plume peut percevoir leur texture et ils disparaissent dans un environnement trop sombre. Ils voyagent généralement dans la sacoche de Plume. J'aime beaucoup qu'on malmène le stéréotype de la licorne idéale, ici petite, mollassonne, froussarde et pas franchement magnifique. Plume a perdu sa mère, mais elle entretient l'idée qu'elle l'a abandonnée pour vivre des aventures de piratesse. Cependant, on comprendra vers la fin qu'il n,en est rien. Cette maman aimait sa fille, elle ne l,aurait pas abandonnée. La réalité est qu'elle a souhaité sauver le dernier dragon, qui mourrait littéralement d'ennuis, plongé dans un état catatonique. Hélas, ce dernier n'aurait pas supporter de perdre son unique lien social et l'a dévorée et dépossédée se son ombre, pour qu'elle lui tienne compagnie. Le thème de la solitude est donc central. Plume craint d'être seule au monde, au point de faire du déni quand à la véritable disparition de sa mère. Elle comble ainsi son vide affectif avec les ombres, même si une amitié sincère semble caractériser les liens entre elles. Le dragon est dans une situation différente, mais teintée du même sentiment. Dernier de son espèce, porteur de milliers d'histoires, il vit la malédiction d'être une créature quasi immortelle, alors que s'enchainent les vies des autres êtres vivants. Paradoxe amusant, il est en froid avec son ombre, qui aspire à plus de liberté. La seule réelle entité qui pourrait meubler sa vie sociale est aussi la seule dont il ne peut rien tirer, hormis des morsures aux fesses. Le dragon a aussi deux défauts majeurs: il ne fait pas confiance et se montre têtu. Deux tares importantes en relation, peut importe la nature de cette relation. C'est ce qui l'a d'ailleurs ramené à la case départ quand il a dévoré la mère de Plume. Cette dernière lui en veut d'ailleurs beaucoup, de l'avoir dépossédé de sa mère. Pourtant, Plume va trouver la force de lui pardonner, alors à deux doigts de lui voler son ombre. La jeune fille comprend que la solitude peut rendre fou. Elle donne cependant le choix à l'Ombre du dragon de rester avec lui ou pas, car c'est elle qui en a payé les frais en demeurant toujours confinée dans l'ombre, incapable de sortir. Ultimement, Plume propose son amitié au dragon esseulé, elle même en ayant besoin. la différence est que plume a su se bâtir des amitiés, alors que le dragon l'impose. C'est ce qui différencie une relation saine d'une relation malsaine, d'ailleurs. L'amitié, c'est comme l'amour, ça ne s'impose pas, ça se partage. Petit focus sur le texte: Plume est désopilante par moment. Elle y a de se commentaire pas toujours très délicats ni polis, déteste l'inaction et possède un sens aiguisé de la justice. Elle gagnera à être connu du dragon, mais également d'un phénix. C'est une jeune fille vraiment fière et orgueilleuse, qui cherche toujours à garder la face, même devant une mort imminente. Ça c'est pas banal, quand même. C'est également la narratrice. La dernière partie du roman, où Plume rencontre le dragon et l'ombre de sa mère, est particulièrement poétique, c'était inattendu ça aussi. C'est le passage où Plume démontre qu'elle a grandit, qu'elle a évoluer et qu'elle fait le choix de passer à autre chose, de passer l’ultime étape de son deuil: l’acceptation. Enfin, je remarque que la couverture est fabuleuse. le graphisme me rappelle la BD "Bergères guerrières", dont l’héroïne aussi en a dedans! Un super petit roman dont l'action n'empêche pas une certaine profondeur et je met au défis les jeunes garçons ne pas tomber sous le charme de cette piratesse effrontée et débrouillarde. J'aime bien que cette histoire tienne en un livre, surtout pour mes jeunes lecteurs, en librairie, qui préfèrent les tomes uniques ou pour qui la lecture est occasionnelle, plutôt qu'assidue. Une petite pépite! Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans.
Shaynning a apprécié, commenté, noté et aimé un commentaire à propos de ce livre

Mister Big ou la glorification des amours toxiques

Par India Desjardins
(3,91)
10 personnes apprécient ce livre
9 commentaires au sujet de ce livre
1 commentaire plus récent
Voici un essai sur la glorification des relations toxiques dans la fiction, mais également sur plusieurs enjeux gravitant autours, comme les stéréotypes, le "Regard" à travers la lentille encore très masculin, la minimisation des enjeux féminins et le rapport de genre inégal. Dans cet essais, à ma grande surprise, mais aussi ma plus grande joie, India Desjardins navigue sur un thème que je trouve important, pas seulement en tant que libraire jeunesse, mais aussi en tant que personne. J'observais déjà, durant mon adolescence, que les modèles féminins proposés tant à l'écran que dans les romans ( Jeunesse et Adulte) étaient peu nombreux, stéréotypés et qu'elles ne jouissaient pas du même libre-arbitre que leurs alter ego masculins. Pire, c'était souvent des personnages stupides, seulement là pour servir de trophée ou de plante verte. Aucunes ne m'interpellait réellement. Pire, elles souffraient presque toutes du même syndrome: "L'Impératif Masculin". Alors que les personnages masculins avaient des projets grandioses et des aventures diverses, avec en bonus la plus belle fille de l'école au bras, nos héroïnes féminines quand à elles, DEVAIENT finir avec le beau ténébreux arrogant sexy, le prince charmant ou , pire encore, le "Bad Boy" aussi égocentrique que violent. Oui, même en jeunesse. Pas besoin de gifles pour être violents, rappelons-nous . Dans leur histoire, qu'elles soient impliqués dans un projet, une quête ou une cause est secondaire, du moment qu'elle ne soient plus célibataire au bout du roman ou du film, et si possible, déflorées. J'ai donc perdu foi en la romance de la littérature jeunesse comme des comédies romantiques à plusieurs reprises, parce que je ne pouvais pas me résoudre à aimer ces relations toxiques et que ces stupides filles superficielles et désespérées ne m'interpellaient pas du tout, contrairement à mes contemporaines du même âge, visiblement. J'étais blasée que les filles n'ait au final qu'une finalité: celle de combler un gars. Aussi, en grande romantique, je trouvait que bien souvent, le gars ne méritait pas la fille. Il aura fallut patienter quelques années avant que je ne trouve des romans où les filles finissaient célibataires ou en couple avec un bon gars, et encore! C'étaient des filles rondes, gay ou marginales dans la case du célibat, et des superbes filles avec le bon gars. ( Soupir) Fait amusant, cependant, la série "Le Journal d'Aurélie Laflamme" de la présente autrice, aura été l'une des rares à sortir des conventions et à offrir des romances saine en jeunesse. Une fois adulte, les questions n'ont fait que s'amplifier, mon indignation aussi, à mesure que se succédaient les romans toxiques: tous les romans "Twilights", puis cette bêtise de "La Sélection", puis "Rouge Rubis", "Promise", "Night School", "Filles de Lune", "Métamorphose", "Palais d'épines et de roses", et, en littérature adulte, toute la brochette de romans "New Romance" qui ne sont au final que des Arlequin sombres où la violence faite au femmes se multiplie. La "Dark Romance" s'est même ajoutée, summum de la violence à tous les niveaux. Et des ados y adhèrent, sans cesse poussées vers ces romans, que ce soit par le biais des réseaux sociaux comme TikTok et Instagram, ou par ces plate formes qui sont des nids à fantasmes sexuels violents comme Wattpad. C'est d'ailleurs là qu'à commencer la série des "After" , cette série où un jeune homme très violent à parié à ses amis qu'il dévirginerait une fille "coincée". Cette dernière est bien sur tombée amoureuse de lui et une relation orageuse se poursuit sur cinq tomes très mal écrits. Chaque nouveau roman publié en jeunesse étiqueté "Wattpad" comprend sa relation toxique, c'est presque systématique. C'est donc avec un certain soulagement que je lis India Desjardins et ses interrogations qui font écho aux miennes. Je suis inquiète de voir qu'autant de femmes ne voient pas la violence faite à ces personnages féminins, toute fictives qu'elle soient. Ça traduit soit un cruel manque d'informations ou pire, une désensibilisation au phénomène. De fait, la quantité de romans, de séries et de films avec des relations toxiques est énorme. Mais ça traduit aussi que bon nombre de gens ne savent pas reconnaitre la violence ou trouve ça divertissant. Ceci-dit, certaines formes sont difficiles à percevoir, comme la violence psychologique, qui est vicieuse, subtile et progressive. C'est difficile pour moi en tant que libraire jeunesse de trouver des romances saines. C'est réellement un problème, car si les adultes peuvent compter sur le poids de leur expérience, nos adolescentes et nos filles beaucoup moins. Savoir qu'on les expose à ces concepts amoureux délétères, en leur faisant croire qu'aimer c'est de se sacrifier, de renoncer, de souffrir, de se laisser insulter et rabaisser, de croire que la jalousie est un signe d'amour et que l'arrogance, la condescendance et la possessivité sont des signes d'amour, ça me dépasse et ça m'inquiète. Comprenez moi bien, il n'est pas question de mettre ces romans qui glorifient les relations toxiques à l'Index, mais il m'apparait urgent qu'on s'interroge sur la surreprésentation des romances toxiques et à risque dans la Culture, particulièrement celle de la Jeunesse. Il faudra, pour se faire, prévenir, éduquer et dialoguer sur le sujet. Autrices et auteurs inclus. Il faudrait déjà que le sujet ne soit pas si marginal, encore aujourd'hui. Et bien sur, il serait intéressant de voir une plus grande diversité de relations amoureuses saines. Parce que oui, à force de relire vingt fois que le plus grand idéal de toute adolescente normale est de "sauver" de son passé difficile un bad boy aussi égo-maniaque qu'instable ou de choisir la facilité financière du gars riche qui a une personnalité aussi lisse que sa laque pour cheveux, franchement, on en vient à penser que c'est normal. Le meilleur exemple que je puisse donner, après "Grease" ( Dont l'autrice va parler), c'est "Breakfast Club". Dans ce film de 1985, cinq archétypes adolescents sont en retenue ensemble un samedi. L'idée était de faire prendre conscience que nous sommes plus que cette étiquette que nous pose la société. Bonne idée, encore aurait-il fallut laisser de côté deux énormes clichés: La "Détraquée" bizarre qui charme le Sportif avec un peu de mascara et des cheveux relevés, et la "Populaire" qui tombe sous le charme du "Bad Boy", qui a été odieux, mesquin, insultant, moqueur, condescendant et même sexuellement agressant ( Il a mit sa tête dans son entrejambe et a fait de nombreuses remarques comme "On attache la reine de la promo et on la met en cloque". Charmant.) avec elle, tout particulièrement. Et elle se dit "amoureuse"?! Mais enfin! C'est grotesque et très improbable, à moins d'être masochiste. Mais c'est hélas monnaie courante en littérature jeunesse, en comédie sentimentale, bref, dans les histoires où il y a des jeunes femmes. En fait, et c'est là un autre souci, les relations toxiques ne sont pas le propre des hommes, qui a travers le prisme de la caméra et du papier, vont encore miroiter une de leurs conceptions de la femme idéal, soumise, stupide, jolie et docile. Non, les pires romans jeunesse et adulte qui véhiculaient des concepts amoureux toxiques ont été écrits par des autrices. Ce qui me fait demander si ces femmes promeuvent sans le savoir des glorifications de relations toxiques sans s'en rendre compte? Qu'elles ont intégré des idées sexistes et perçu des comportements violents comme "normaux"? Parce qu'à la base, elles ont écrit des romances, c'est donc que de leur point de vue, la romance permet certains comportements inadéquats de la part du conjoint/chum/copain? Ou alors, elles mêlent fantasmes et réalité? Parce que je ne vois pas comment on peut confondre un Bad Boy opportuniste avec un prince ténébreux torturé qui cache un coeur en or - parce que ça n'existe tout simplement pas. Et d'autres fois, je me demande si la génération Arlequin n'a pas contribué à faire naitre des archétypes masculins épouvantables. Bref. L'autrice va aborder cette dimension avec nuances, précisant qu'on ne peut pas reprocher aux autrices d'écrire en fonction de leurs valeurs et de leur éducation. Selon elle, on est même plus critique envers les autrices que les auteurs. Il faut donc aller dans le sens de l'éducation et de la sensibilisation, plutôt que de remettre le blâme sur elles. D'ailleurs, les auteurs aussi peuvent véhiculer des stéréotypes féminins tenaces et promouvoir des relations toxiques. Néanmoins, on pourrait espérer que les auteurs et autrices prennent davantage conscience de l'impact de ce qu'ils écrivent, en sachant que les gens sont influencer à un certain degré par ce qu'ils consomment. On pourrait d'ailleurs commencer, comme le précise l'autrice, par les cours de création littéraire, très axés sur la forme, très peu sur les enjeux et les impacts. Le volet psychologique et sociologiques devraient sans doute être davantage exploité, en cela je suis parfaitement d,accord, car ce sont des composantes auxquelles je suis particulièrement attentive dans mes lectures, même en jeunesse - SURTOUT, en jeunesse. L'élément de genre littéraire ou cinématographique aussi est abordé. Les comédies romantiques sont du bonbon, une sorte de gâterie pour se faire rêver, mais reste l'un des genres les plus mal vus ( après la porno). Comme il s'agit d'un genre très féminin, longtemps il a été perçu comme une catégorie de seconde zone, moins sérieuse. Pourtant, ce pourrait être un genre intéressant s'il n'y avait pas autant de relations toxiques dedans. Est-ce si inenvisageable de voir un couple qui entretient une bonne relation avoir un enjeu hors du couple lui-même? Pourquoi l'enjeu majeur est-il aussi souvent dans le couple lui-même? Pourquoi une fille qui se découvre une liberté relationnelle est-elle perçue comme une ratée? Pourquoi les fins où la fille se choisie sont t-elles perçues comme des fins malheureuses? N'est-ce donc pas touchant, au contraire, de voir une fille avoir la force et le courage de quitter une relation qui lui apportait rien de bon? J'aimerais voir plus de conversations autours de tous ces enjeux autours des relations malsaines. Je commence à en trouver sur les réseaux, mais si peu. Le pire est que nous trouvons des milliers de femmes prêtes à défendre bec et ongle ces romances malsaines et toxiques, que ce soit les films, les séries ou les romans. Comme quoi, le déni peut être terrible quand il s'agit de préserver ses désirs. Il existe sur la plate-forme Booknode deux listes qui, à mon sens , traduit cette réalité dans laquelle de nombreuses lectrices désirent des histoires avec des hommes violents et des relations toxiques [ Notez la popularité de ces deux listes]: "Romances où le gars est exécrable avec la fille": https://booknode.com/liste/romances-ou-le-gars-est-execrable-avec-la-fille "Les personnages masculins bad boys, jaloux, possessifs...: https://booknode.com/liste/les-personnages-masculins-bad-boys-jaloux-possessifs Un des éléments récurrents dans le présent essai est notre perception du 'Mâle" idéal, tel que Mister Big représente. Riche à outrance, sexy, indomptable, terriblement séduisants, amoureux cynique, arrogant, ces "Dieux" masculins reviennent souvent, comme si l'homme à fuir était au contraire routinier, sobre, tranquille, intelligent, raisonnable et issu de la classe moyenne. Comme si l'homme désintéressé ne demandait qu'à être convaincu par LA fille, l’exception. D'une certaine manière, on a l'impression qu'il faut souffrir pour être digne de ce mâle absolu qui va pourvoir à nos caprices les plus fantasques parce qu'il en a les moyens, mais en contrepartie, il faut se soumettre et admettre que sa vision du couple a préséance sur celle de la femme. Et puis, très souvent, ce mâle sexy obscure dominant est aussi très bon au lit. Ça vaut le cout de faire des compromis pour éviter de finir à un homme qui est routinier au lit aussi, non? Comme dans les "Twiligts", les "Fifty Shades of Grey", les "After" et même "365 jours", roman dans lequel une femme est kidnappée, violentée, violée, pour finir amoureuse de son geôlier. J'ajoute que les relations toxiques glorifiées des romans et films d'amour nuisent aussi aux garçons et aux hommes, tout comme la pornographie en sens inverse. Dans les premières on véhicule l'idée que les filles sont sensibles au charme des Bad Boy et autres connards du genre. On véhicule l'idée qu'il est normal d'être dominant envers les femmes. On véhicule aussi l'idée que les garçons gentils, attentionnés et sans histoires dramatiques sont "ennuyeux". Qu'une relation paisible, ça m'existe pas et ça ne se désire pas. Bien sur, et madame Desjardins le souligne, être gentil e attentionné n'est nullement garant d'un retours d'ascenseur amoureux, comme se plaisent à le montrer certaines comédies romantiques, mais il serait faux de faire croire que seuls les torturés fortunés sexy sont les seuls à mériter l'attention de la gente féminine. Surtout quand ces "princes ténébreux" n'aimeront jamais qui que ce soit plus qu'eux même et ne sont prêt à aucuns compromis. Des dictateurs relationnels, en quelque sorte. Dans les second, la porno, on véhicule que les femmes sont des objets sexuels qui aiment la violence, que le sexe est cru et dénué d'affection, ce genre de choses. Bref, il importe, il me semble, de traiter de cette récurrence des rapports toxiques dans les relations amoureuses, mais aussi dans le rapport de genre en général. Et je réitère que le phénomène n'exclut pas la Culture Jeunesse, au contraire, c'est de pire en pire, surtout avec l'arrivé de la littérature Jeune Adulte/Young adult, à tort destinés aux jeunes adolescents alors qu'il concerne les cégepiens et universitaires, ainsi que les séries Netflix qui en contiennent leur large part.J'espère que nos profs seront parmi les premiers à en parler et j'espère que les libraires jeunesse y apporteront une plus grande attention et une plus grande sensibilité. Aussi, il est question des attentes irréalistes qui peuvent être véhiculés par le biais de la fiction dont l'une des plus récurrentes est celle du "Type trop cool, trop beau, bref inaccessible" qui va finir magiquement par tomber amoureux de l'exception personnifiée, à savoir la protagoniste. Classique des Arlequins, des New Romance, des comédies romantiques, etc. Très souvent, la pauvre fille ne se ressemblera même plus pour corresponde aux nombreux critères de ce type, justement. En quoi est-ce même romantique si cet amour signifie de ne plus être soi? Et parfois, c'est plutôt dans l'axe de "la grande révélation", quand le type en question fini par passer par dessus ses préjugés superficiels pour réaliser que la protagoniste est la femme de sa vie. L'ennui, c'est que dans la réalité, ce n'est jamais ça. du coup, ces histoires relèvent du fantasme pur et simple. Encore une fois, la fiction reste de la fiction, mais le problème est que la récurrence de ses histoires, combinés aux frontières floues entre fiction et réalité, contribue, je pense, à donner à nos jeunes des attentes qui sont irréalistes. À force de leur faire croire que n'importe quel beau gars cache un prince charmant et qu'il faut se battre pour le faire sortir, ne contribuons-nous pas à mettre une pression sur les épaules de nos filles? Pourquoi si peu de romans et films ne proposent-ils pas au contraire de savoir s'arrêter quand la relation ne mène nul part ou que le gars "pas intéressé au début", ne le sera surement jamais? Madame Desjardins traite, en outre, des frontières floues entre Fiction et Réalité, en utilisant certaines études pour appuyer sa réflexion. À l'heure des autofictions nés des réseaux sociaux, même la réalité semble souvent fausse ou à tout le moins trafiquée. Comment alors distinguer clairement ce qui relève du fantasmagorique ou du ludique, quand in consomme de la Culture, si même ce qui devrait être "vrai" ne l'est pas vraiment? Les arts et les lettres, tout comme les films, avaient ceci de clair qu'ils étaient des fictions - et même eux ont un impact sur nos valeurs, sur nos perceptions, alors quand les Instagrameurs, influenceurs et même les citoyens lamba se crée une vie de rêve peuplée de voyage, de visages retouchés et d'histoires de couple parfaites, ne vient-on pas en rajouter une couche? L'idée étant que si fiction et réalité se mélangent, risquerait-on de trouver les inexactitudes de l'une sur l'autre? Serait-il donc intéressant de mettre des barèmes, des prises de position sur certains enjeux, comme le sexisme et les relations toxiques, pour éviter que l'incidence de l'un sur l'autre ne devienne une autre façon d'accentuer ces mêmes enjeux? Il y a aussi ce passage où il est question de l'attrait des histories sucrées comme les comédies romantiques et romans d'amour du même genre. L'idée n'est pas de condamner le genre en soit, mais plutôt de rester vigilent, à titre d'auteur ou réalisateur, à ne pas contribuer à accentuer les enjeux liés aux relations toxiques et rapport de genre inégaux. L'idée n'est pas de censurer, de ne plus en parler - au contraire!- Il faut en parler. C'est simplement le traitement choisi qui fait la nuance entre promouvoir ou glorifier et dénoncer ou informer. Certains romans que j'ai lu allaient en ce sens: un jeune embourbé dans une relation inégale et toxique finit par prendre conscience de la souffrance qu'il vit dans cette relation et le fait qu'elle n'aboutira jamais sur sa vision du couple. Au contraire, j'ai lu des romans jeunesse très nombreux qui allaient dans le sens contraire: des filles en couple souvent avec des bad boy égoïstes et mesquins, qui vont passer des mois, voir des années à se battre pour "être dignes de lui", croyant que pour certains petits moments heureux, il faut accepter les méchancetés occasionnelles. Ces personnages vivaient beaucoup de détresse émotive. L'horreur, quoi. Et le pire est que bien souvent, il y a un bon gars pas loin, qui a été "friendzoné", parce que c'est bien connu: les bons gars sont ennuyeux. ( Notez le sarcasme) India Desjardins amorce une interrogation qui me semble légitime et elle le fait avec une certaine douceur, sans rien enlever à la pertinence de son propos. Il se lit somme toute très bien, avec des références à l'appuie, notamment une psychologue spécialisée en relations conjugale. Elle couvre sur un large spectre, passant des séries télévisées aux films, en donnant de nombreux exemples. Aussi, elle passe souvent sur l'évolution de ses perceptions, et c'est un élément pertinent: avec le temps et l'expérience, en effet, notre vision change. Certains seront peut-être plus chatouilleux/euses que d'autres à reconsidérer leur avis sur ces films et romans qui ont marqué leur jeunesse, mais c'est un exercice intéressant à faire. Ce petit ouvrage fut riche en réflexion et j'espère le voir meubler les bibliothèques autant des adultes que des ados, des bibliothèques municipales que des bibliothèques scolaires. Un petit essai que j'espérais voir apparaitre depuis plusieurs années et que je suis soulagée de voir enfin. Ça me fait d'autant plus plaisir qu'il s'agit d'une autrice de ma province et qui aura eu le mérite de ne pas tomber dans le piège des relations fantasmagoriques qui se vendent allègrement au lectorat des adolescentes avec sa propre série jeunesse. Je conclus en formulant le même souhait que madame Desjardins: Celui où on cessera de braquer les projecteurs sur ces mâles narcissiques, égoïstes et toxiques au profit de ces hommes capable d'amour. Personne, pas même dans les fictions, ne mérite de subir un sort aussi peu enviable, parce que l'amour est un beau sentiment qui ne mérite pas de devenir le poison de tant de femmes et de filles ( et parfois même de garçons et jeunes hommes, j'en ai lus ) . Je ne peux qu'espérer que les consciences seront de plus en plus éveillées au phénomène de la glorification des relations toxiques, surtout pour notre jeunesse plus vulnérable et plus impressionnable. La clé demeure l'éducation. Pour un lectorat adulte, mais pourrait servir dans les écoles secondaires, dans le cadre des cours de société, psychologie ou de sexualité pour nourrir des débats, alimenter des discutions et faire des prises de conscience. Pour la Jeunesse, je vous invite à voir l'album "Entre le lapin et le renard - Un conte dépourvu de fées", de Nathalie Lagacé, aux éditions Isatis, collection GRIFF.
7 commentaires plus anciens
Shaynning a commenté et noté ce livre

Le secret des livres volés

Par Florence Jenner-Metz et Caroline Ayrault
(2,0)
1 commentaire au sujet de ce livre
Un vol a eu lieu dans la librairie Aux mots doux. le voleur s'y est glissé en douce une nuit, en utilisant son savoir des serrures pour crocheter l'arrière du bâtiment. Il laisse à la place du livre visé une porcelaine en forme de fleur. Quand la famille Dominique réalise le méfait, les deux enfants, Tiffany et Tomi, se lancent sur ses traces. D'autres livres ont été volés dans d'autres librairies, tous du même auteur, Rémi Tourgen, expatrié de France ayant vécu en Australie et mort depuis quelques jours. Avec l'aide d'Oscar et de leur chien Dobby, les trois enfants tentent de trouver le voleur. D'habitude, j'aime beaucoup les romans de la collection Deuzio, mais celui-ci m'a semblé très tiré par les cheveux. J'ai conscience que ce n'est pas facile de faire des enquêtes avec des personnages jeunes, mais tomber dans la facilité n'est pas souhaitable non plus. Déjà, je suis un peu étourdie par la présence déraisonnable des points d'exclamation. Bon sang! On a l'impression que les personnages sont toujours en train de crier, s'exclamer ou de capoter ( Québécisme: disjoncter/paniquer). Et les dialogues manquent beaucoup de naturel, notamment quand ils nomment des choses qu'on ne mentionne pas à l'oral d'habitude ou qu'ils embellissent des phrases inutilement. La plume est jolie, elle est juste parfois pas assez précise sur certaines des actions ou certaines séquences. Quand à l'enquête elle-même, sans dire qu'elle est incohérente, elle est simplement trop simpliste. La devinette de la fin, où il fallait deviner les éléments des couvertures des livres susceptibles de mener à un trésor s'est fait en dix minutes top chrono, avec une déduction réussie au premier coup pour chaque livre, alors que personne n'était là pour valider. On a dressé un portrait-robot grâce à la mémoire d'Oscar ( vraiment?!) et au talent de dessinatrice de Tiffany ( en plus?!). Ce qui me laisse perplexe tout-de-même, est le fait que la voleuse a eu assez de bon sens pour employer son talent la nuit, loin des regards, mais pas pour cette quatrième escapade en librairie? Ce qui a permit à nos enquêteurs en herbe de voir son visage et de faire son portrait. Ah ben, assez simple, en fait et quelle chance que la voleuse ait changé son mode opératoire. Plus loin, il y a aussi le fait que commodément, le grand-père d'Oscar connaissait l'auteur des albums ( on parle d'un gars qui a quitté le pays depuis 70 ans quand même et qui n'a donc pas du connaitre beaucoup de français). Quel hasard commode! Bref, je ne vais pas tous les ramener ici, je résumerais en disant que tout est trop commode et très expéditif pour une enquête. Et je suis un peu perplexe devant ce père qui, à deux reprises, donne une consigne à ses enfants de ne pas trop s'avancer dans cette enquête, mais qui, à deux reprises, passent outre. " Vous avez été formidables, même si vous avez désobéi. Vraiment je suis fiers de vous!". Et ben, en voilà un parent incohérent. Dernière chose, je trouve que les adultes en beurraient épais sur l'exceptionnalité de leurs enfants, alors que très franchement, ils sont surtout extrêmement chanceux. Dans les points positifs, ça se lit somme toute bien. Attention, il y aura des divulgâches. La fin est quand à elle un peu malaisante, car on excuse les vols par une histoire certes touchante, mais qui n'excuse pas de voler des livres. Je vais être honnête, je m'attendais à avoir une raison TRÈS sérieuse pour justifier un vol de livre, et encore. Étant libraire moi-même, les vols, je suis familière avec ça. Et la réalité, c'est que ça nuit vraiment. Je dirais aussi qu'il existe des options bien moins problématiques au problème du personnage, comme d'acheter des livres usagés, moins chers. C'est dur d'avaler que "je les voulais pour moi". Oui, comme beaucoup de gens. C"est d'ailleurs l'intérêt des accès aux bibliothèques qui donnent justement le droit aux gens de lire gratuitement. La voleuse explique aussi que "il aurait pu me les offrir ces livres, c'est quand même un peu grâce à moi qu'il est célèbre". Ah oui? Alors, je comprend que cette personne s'est donné le droit de voler des livres parce qu'elle croyait les "mériter". C'est censé excuser sa conduite? Ça sonne dangereusement comme une sorte de vengeance teintée d'amertume. La voleuse a laissé les fleurs sur place pour "laisser quelque chose de précieux en échange", mais là encore, ça n'excuse pas son geste, ça ne fait qu'apaiser ses propres remords. Désolée, Rose, moi , je n'achète pas ces justifications. C'est peut-être mon côté fortement honnête qui fait ça, me je n'adhère pas aux excuses criminelles facilement, en littérature jeunesse comme en littérature adulte et ici, la raison est à la limite du risible. À la rigueur, voler pour ne pas mourir de faim est en partie excusable, mais pas pour le simple caprice de posséder des choses, à mon sens. Et qu'aucuns personnages n'aient au moins soulevé le côté immoral de la choses, attendris par son histoire avec l'auteur des albums, ça me chicote. Je me demande ce son ami auteur aurait pensé d'elle s'il avait su de quelle manière elle avait décidé d'obtenir ses livres...C'est même un peu étrange pour un livre dédiée aux libraires de parler de vols de livres. Dans le livre, les libraires des librairies volées font même une fête pour célébrer la découverte du trésor remit à notre voleuse, qui s'en tire sans le moindre reproche. Ah ben. Malaise. Bref, je ne suis pas impressionnée et je ne vais sans doute pas garder ce livre en tête, mais c'est là mon avis personnel. Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

Hôtel de la paix

Par Emmanuel Villin et Michèle Standjofski
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Incontournable Roman Février 2024 Voici un petit roman qui ose un thème actuel, celui de la guerre, mais dans un cadre que je n'avais jamais vu, celui d'une entreprise familiale. Bastien vit dans un hôtel, celui tenu par son père, véritable carrefour de voyageurs de tout horizons. Ce petit monde pétillant se retrouve un jour en plein conflit civil. Ce qu'ils ont prit pour des feux d'artifices se révèlent être des détonations d'armes à feux. Alors que les mois défilent, la situation dégénère. Les clients de l’hôtel sont remplacés par des journalistes des quatre coins du monde venus commenter la guerre, le sous-sol servant de piste de danse devient le bunker en cas d'alerte à la bombe et bien que Bastien continue à aller à l'école, il arrive aussi souvent qu'il fasse l'école à la maison. Le seul aspect qui semble positif dans ce décor peu réjouissant est le fait que Bastien rencontre des gens fascinants qui lui apprennent pleins de choses pratiques. Il en vient même à formuler le souhait de devenir journaliste. Un jour, un père et sa fille débarque à l’hôtel, sans logis et presque sans bagages. Kazan et Liza sont invités par Bastien a rester vivre ici, dans l’hôtel et par la suite, Kazan deviendra un interprète auprès des journalistes, tandis que Liza devient amie avec Bastien, seule autre enfant du bâtiment. Et bientôt, les deux enfants seront au cœur d'une opération périlleuse: Retrouver le père de Bastien, kidnappé par une faction militaire quelconque. C'est une histoire relativement courte et expéditive, qui pose un regard un peu survolé de la guerre, mais qui soulève deux ou trois aspects pertinents. Pour Bastien, la guerre est absurde, comme elle l'est sans doute pour beaucoup de gens. De son point de vue, nous voyons un petit commerce reconverti en base d'informations et le ballet des journalistes et des photographes venus informer le monde du conflit et les dangers de se promener dans le rues, où des altercations surviennent. En soi, nous le voyons un peu de loin, ce conflit, on ne verra pas de scènes de combat ni de violence évidente, hormis l'enlèvement du père de Bastien. Ces enlèvements étaient courant en ces temps de guerre, pratiqués pour effrayer les gens et/ou réclamer de l'argent. L'élément qui m'a semblé le plus marquant est celui des enfants armés. Le personnage de Ralf en est un. À peine plus âgé que Bastien et Liza, il fait parti de la faction venu enlever le père de Bastien. Orphelin et jeune ado intimidé, il semble avoir choisi une voie pour tenter de s'en sortir. Bastien est convaincu que s'il peut traiter avec lui, il aura plus de chance de retrouver son père. Une théorie qui repose sur leur statut commun "d'enfant". Il retrouvera sa trace grâce à un jardinier et parviendra, avec l'aide de la très loquace Liza, à le convaincre de les aider à relâcher le père de Bastien. Elle le fait notamment en invoquant le fait qu'après le conflit, il y aura un après et qu'il n'est pas sans risque d'être tué ou éventuellement jugé. Bastien lui promet même une place à l’hôtel pour se faire un nouveau départ dans la vie. Dans les autres éléments, je remarque le fait que la vie se poursuit durant la guerre, l’hôtel fonctionne, l'école aussi. Ce doit être un quotidien semi-normal, où il y a de la continuité mêlée de dangers. Une étrange situation, quand on y pense. À partir d'ici , il y aura des divulgâches. J'admets que la fin m'a semblé d'une grande facilité, un peu "trop belle" pour être réaliste, mais je me dis que pour un lectorat 8-9 ans, on ne peut sans doute pas tomber dans des récits de guerre trop confrontant ( même si des enfants de cet âge vivent des guerres bien traumatisantes chaque jours). Je comprend l'auteur d'avoir voulut tabler su l'espoir. Donc, Ralf, qui était responsable de surveiller le papa de Bastien durant leur transition vers une autre planque, parvient à le faire évacuer tout en s’enfuyant. Ralf et le papa réintègrent donc l’Hôtel en un morceau. Le presque-ado se voit confier un travail à l’hôtel tel qu'il lui avait été promis et des années plus tard, quand la guerre a cessé enfin, il a même prit la tête de la direction. Pour citer Bastien: Comme Liza l'avait prédit, la guerre a fini par s'arrêter. Personne ne sait pourquoi. Les raisons pour lesquelles une guerre cesse sont sans doute aussi idiotes que celles pour lesquelles elle démarre." L'amitié de Bastien avec Liza, ainsi que ses rencontres avec les divers personnes ayant fréquentés l’hôtel en temps d guerre demeurent les seules choses positives à en tirer. Maintenant, il faut tout reconstruire et espérer que la paix dure. Le roman est illustré, servit dans un français accessible. Je réitère que le but n'est sans doute pas de servir les détails les plus lourds de la guerre, parler de maisons détruites, de personnes kidnappée et d'enfants soldats sont déjà des éléments dérangeants. Nous sommes dans un pays sans nom, nous pourrions être n'importe où. Je pense que ce genre de petit roman va surtout servir à introduire le sujet de la guerre, à un moment où elles ne sont guère loin de nous, à un écran près. Et les romans qui en parlent pour cette tranche d'âge de lectorat demeurent relativement peu nombreux. Pour un lectorat à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

Capharnaüm

Par Pénélope Bourque
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Incontournable Roman Février 2024 Capharnaüm est une étrange petite bête, qui tiens à la fois du huis clos, du thriller et de la psycho noire. Sait-on si on surfe sur un cas particulièrement grave de déni lié à un trouble obsessionnel compulsif de type amasseur, d'un cas de négligence parentale perturbant ou d'un réel cas de maison-ogre éternellement affamé qui semble toujours à deux doigts de manger ses propres habitants? L'histoire nous le dira, comme on dit. Anne vit dans le moment présent chaque jour, car sa mission est de dégoter un objet à sacrifier à sa maison qu'il n'a pas déjà gouté. Celle-ci n'en fait d'ailleurs même pas de réels encas, recrachant toutes ses offrandes pour former un réel bazar d'objets à moitié grugés un peu partout dans la maison, qu'Anne ne peut en aucun cas déplacer ou jeter à la poubelle. Sa maison est donc devenu un véritable capharnaüm de vestiges d'encas pour maison-monstre. Une maison qu'elle a l'impression d'habiter seule, sa mère étant continuellement enfermée dans on atelier, à coudre des vêtements. Les choses sont appelées à changer quand une jeune fille, Marguerite vient d'emménager juste à côté de sa maison. Une jeune fille qui a un féroce désir d'avoir une amie et qui a découvert un héron blessé. On dit que pour réussir un roman d'épouvante, il faut savoir créer la bon atmosphère. le moins qu'on puisse dire est que l'ambiguïté est bien là. Nous sommes pratiquement toujours dans la maison d'Anne, d'où le côté huis clos, où la jeune fille consacre tout son temps et son énergie à chercher de quoi nourrir sa maison. Mais est-ce vrai? Je me suis longtemps demandé si ce n'était pas une projection d'Anne, qui meuble le vide laissé par l'absence de sa mère, toujours confinée dans on atelier de couture, à travailler. Si toutes ses "quêtes d'objets" ne servait pas à canaliser sa colère, son impuissance, car elle vit ces émotions. Anne vit littéralement seule, elle n'a pas croisé sa mère depuis des semaines, se nourrissant des item alimentaires qui apparaissent ponctuellement dans le garde-manger et le frigo. Je ne peux qu'imaginer la détresse d'une enfant qui n'a aucun contact avec d'autres humains, c'est terrifiant. Les contacts avec les pairs chaleureux font parti des besoins de base des humains, qui sont grégaires, et un isolement prolongé crée de réels enjeux de santé mentale et peut mener la psyché à créer des choses pour se protéger de cette absence de contact. Ce qui me mène à mon autre questionnement: Marguerite est-elle réelle aussi? Ce personnage débarque un beau jour et j'ai trouvé sa façon d'entrer en interaction un peu intense, quelque peu imposé. On comprendra plus tard qu'elle a ses propres insécurités et une anxiété mal contrôlée et envahissante, surtout en matière de pensées intrusives. Marguerite imagine souvent le pire, butte sur des détails en apparence anodin, comme le fait de donner un nom au héron, par exemple, ou sa peur quasi phobique des acariens. Elle semble avoir des crises de panique et craint de perdre son amitié avec Anne, même si c'est elle à la base qui s'est imposée. Ça semble négatif , dit comme ça, mais force est de constater que c'était peut-être ce qu'Anne avait besoin. Elle était trop occupée à ses recherches d'objets pour se donner de le temps de socialiser et n'a sans doute pas les meilleurs habiletés sociales pour le faire. Un paradoxe, quand même, pour une personne aussi carencés en vitamines sociales. Mais sur le coup, comme Marguerite semblait si parfaite dans son profil pour Anne, je me suis demandée si c'était un réel personnage. Surtout qu'on ne voit jamais ses parents. Néanmoins, Jamais Anne ne se pose la question, alors c'est peut-être là le résultat de mes propres extrapolations. L'arrivé combinée de Quenouille, le héron rescapé, et Marguerite, jeune fille angoissée, va demander à Anne d'exploiter de nouvelles forces qu'elle ne se savait pas. Son sens pratique, par exemple. le soucis réside dans le fait qu'Anne doit toujours nourrir sa maison affamée et qu'elle l'ignore maintenant qu'elle est occupée à trouver de quoi nourrir Quenouille ( tient, un autre qui a besoin de nourriture!) et nourrir son amitié. La différence avec la maison, c'est que nourrir l'un et l'autre n'est pas à sens unique. le héron et Marguerite deviennent ses amis, ses pôles sociaux, des générateur de confiance et des facteurs de protection. Il y a réciprocité, contrairement à la maison. Lentement, mais surement, Anne comprend que sa vie dans la maison-ogre ne sera qu'un long cercle vicieux qui à terme, viendra à bout de sa propre vie, une vie consacrée à remplir une maison éternellement insatisfaite. J'aime croire que c'est là une belle allégorie pour une relation toxique: une relation à sens unique, un éternel recommencement dont l'un des membre ne tire aucun avantage, au contraire de l'autre, l'éternel bénéficiaire capricieux, où tout est orienté vers ses besoins, au détriment de ceux de l'autre. Un cul-de-sac relationnel, en somme, qui ne peut aboutir qu'à une seule issue logique, si elle continue: l'effondrement de la victime. Il faut énormément de force et de courage pour se sortir d'une telle situation, surtout que changer des comportements est à la base un acte difficile à faire pour une personne. Anne doit s'affranchir de cette maison, qui semble avoir "eu" sa mère, qui ne sort plus de son atelier. Il faut briser le cercle vicieux. Il faut quitter cet environnement malsain, qui brime sa vie. Dehors, il y a toutes ces choses à apprendre, qui semble lui faire défaut. Dehors, il y a Marguerite, grande anxieuse sociale, qui a envie d'être son amie et veut affronter le monde avec elle. Pour ça, il faut trouver une solution. Et quand la maison commet l'outrage de capturer Quenouille, puis son précieux bracelet d'amitié, cette fois, Anne comprend que c'est allez trop loin. Je regarde l'amitié d'Anne et Marguerite avec une certaine perplexité. Il faut dire que le contexte est très étrange, cela n'aide en rien. Marguerite, par exemple, a su "d"instinct" qu'Anne serait son amie, mais au regard de ses enjeux d'ordre social, il me semble plutôt qu'elle est désespérée d'avoir une amie. En amour et en amitié, on ne peut faire tenir les bases sur quelque chose d'aussi bancal qu'une "intuition", ce fameux "je l'ai su au premier regard". C'est un peu de la pensée magique, quelque chose qui me semble très irrationnel. Pour que cet "instinct" serve à quelque chose, il fait des piliers plus solides, comme la confiance, le respect, des intérêts partagés ou encore une complicité sincère. Ce fut ardu, mais certains de ces éléments sont arrivés en cours de route, mais encore là, ils m'ont semblé un peu forcés. Les deux filles ont besoin d'une amie, mais ce serait dommage que cela en vienne à de la co-dépendance. Reste qu'à quelque reprises, elles se sont soutenues dans l'adversité et ont su trouver les mots pour décrire leur situation hors-norme de part et d'autre. En outre, Anne possède le côté terre-à-terre et le sens pratique qui manque à Marguerite et celle-ci possède une forte solidarité et une ouverture d'esprit dont a besoin Anne. On peut dire qu'elles se complètent bien, il faut juste souhaiter que cela les amène à développer leur estime de soi sans tomber dans la dépendance de l'autre. Mais ça, je ne suis pas sure qu'on le saura. Je dirais que cette histoire possède une audace que j'apprécie. S'affranchir d'une situation malsaine, parler de la colère d'être seule sans son parent, profiler une amitié tout en parlant d'anxiété à la limite du trouble, ça me semble audacieux. C'est une histoire inconfortable, perturbante, qui pourrait être le résultat d'un esprit juvénile compromis ou un réel cas de monstre-maison qui détruit des vies. Les questions qui s'accumulent sur ce qui se passe dans cette fameuse maison nous tient en haleine et les relations balbutiantes entre Anne, son héron et sa voisine ont un avenir incertain, il y a de quoi se demander tout au long de l'histoire où cela nous mènera. Il y a aussi un beau travail sur le plan émotionnel. L'autrice a prit le temps de nous faire visiter la psyché de son personnage, ses inquiétudes, sa colère et ses espoirs. Les questionnements et les focus émotionnels ralentissent le rythme de l'histoire, mais tous les thrillers n'ont pas être expéditifs non plus. Certains thrillers sont centrés sur le vécu intérieur des personnages et c'est pertinents, spécialement dans un huis clos. Et dans le cas de Capharnaüm, c'est l'aspect cyclique qui est horrible, cette situation sans issue dans laquelle notre jeune pré-ado doit faire évoluer sa pensée pour espérer s'en sortir. C'est donc, à mon sens, un bon choix de prendre le temps d'asseoir le volet psychologique, pour mieux cerne en quoi cette situation est terrifiante et compromettante. J'aurais apprécié plus de descriptions des personnages, c'était difficile de les imaginer. Comme Marguerite a été décrite avec des boucles noires et des yeux foncés, je me plait à penser qu'elle est aussi noire de peau, parce que je continue de penser que des enfants au profil ethnique autre que caucasien, il en manque. Attention, divulgâches en vue! Quand à la fin, il reste des zones d'ombre. Cette maison en a-t-elle réellement fini? On peut imaginer que cette maison qui croulait sous les immondices va probablement finir détruite, surtout avec ce mur effondré. Je me demande encore comment la nourriture est apparue dans la cuisine. L'adulte que je suis se demande comment un adulte peut resté confiné dans une pièce sans voir à ses obligations, comme gérer les factures d'hydro ou faire des impôts, mais bon, là je sais que j'extrapole beaucoup, Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser à tous ces enfants négligés qui ne se font pas signaler à la DPJ, la protection de la jeunesse. Pour la fin de l'histoire, je pense que le montre-maison avait "dévoré" la maman dans son atelier. On peut imaginer qu'elle cousait pour lui faire des choses à dévorer ensuite, mais à savoir comment elle pouvait offrir un vêtement neuf chaque jour à sa fille reste un mystère. Si Anne et sa mère iront vivre ailleurs, nous n'avons pas toutes les réponses à leur situation antérieure. Mais ce qu'on sait, c'est que la maman n'est pas sortie indemne de son atelier. Il me semble que ce seul aspect est effrayant. Bref, je suis assez globalement convaincue de ce livre, qui articule des sujets qu'on croise peu souvent en littérature intermédiaire. Si tout n'est pas très claire à la fin, reste que les romans du genre fantastique-horreur le sont souvent. Parfois, il faut accepter que tout n'aura pas de réponses, quand on a une situation qui relève du surnaturel, même la maniaque des détails que je suis trouve ça bien difficile à faire. Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

La ville grise

Par Torben Kuhlmann
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Incontournable Album Février 2023 L'auteur-illustrateur, qui nous a livré la fratrie d'albums sur ces petites souris à l'origine des grandes inventions technologiques du monde moderne, propose un nouvel espace, un espace d'une mélancolique homogénéité grise où l'esprit humain semble maintenu entre quatre murs de béton, pour d'obscures, mais très certainement discutable raisons. Nina observe une ville dominée par de hauts grattes-ciels dépersonnalisés baignant dans une brume d'échappements d'usines, tel un petit poussin égaré contemplatif. Elle et son père viennent de déménager en ville, ce qui n'est guère pour lui plaire et comme un malheur ne vient pas seul, cette ville est dépourvu de la plus élémentaire trace de couleurs. Il n'y a pas de verdure végétale, pas la moindre fantaisie de revêtements de surface, les gens limite leur garde-robe à la palette des gris, de même que les diverses nuances offertes en peinture à la quincaillerie. Dans cette ville, les arts sont pratiqués en cachette, les couleurs sont jugées dérangeantes "pour certains" et les habitants semblent y évoluer sans entrain, plus mécaniques que réellement dynamiques. Nina n'est qu'une petite chose dans cet empire de béton et d'angles sévères, mais comme le mentionnait si justement une critique* que j'ai pu lire: Nina est un "Petit grain de sable jaune dans les rouages grisâtres d'un régime totalitaire". Et les grains de sable, c'est bien connu, peuvent à eux seuls être les éléments susceptibles de produire des changements. Il y a quelques années, j'ai lue dans une charmante petite BD amateure la citation suivante, de Anthony Burgess, un écrivain britannique: "L'art, parce qu'il est liberté, est aussi subversion. Aucun État ne peut aimer les artistes, à moins qu'ils ne disent ce qu'il souhaite entendre. Ce qui est la négation de l'art." Cette citation me revient en mémoire quand j'observe, à l'une des pages, cette fresque en apparence inoffensive d'un poisson rouge dans l'eau, casque audio sur les oreilles, peinte sur l'un de ces immenses murs d'une extrême froideur de la ville. Nina s'y est arrêté pour le contempler. L'art de la rue m'a toujours semblé l'une des formes les plus audacieuse des arts, parce qu'il demande à être réalisé en un temps records sur des bâtiments sans avoir le droit de les réaliser. Subversif? Assurément! Sa simple présence est un acte de contestation. Et il est en couleurs! L'art de rue rappelle qu'il y a des artistes et donc, des gens qui échappe aux tentatives de contrôle des états totalitaires, ou non. Là où il y a des arts qui ne sont pas au service de l'état, il y a liberté. Ce qui me rappelle un film, cette fois: "Bienvenue à Pleasantville". Dans ce film, deux ados sont propulsés dans un monde fictif de la télé, Pleasantville, une petite communauté sainte-nitouche au possible, dans la plus pure tradition des stéréotypes de genre et de la pensée Blanche catholique américaine. Et soudain, la présence de nouvelles idées, de nouveaux comportements, de la part des deux ados, bousculent leur univers si carré et conforme, pour se teinter littéralement de couleurs ( le film passe ainsi de "noir et blanc" à "version couleur" par fragments). Tout comme dans ce film, ce qui est "coloré" dérange, n'est pas admissible et est soumis à la censure. Pourquoi? Faut-il une réponse logique à cette question extrêmement subjective? Parce que "c'est comme ça? Que c'est pour le bien commun? Parce que l'ordre établit et consensuel ( selon les autorités), c'est ce qui est attendu? Ou alors, parce que le changement dérange les acteurs qui ont un impératif besoin de contrôle sur les autres, parce que leur esprit obtus et rigide ne tolère pas ce qui est différent, ce qui échappe à leur compréhension? Et dans l'album, il a divers éléments qui deviennent rapidement "subversif" selon cette autorité auto-proclamée et soi-disant "ouvrant pour le bien-commun": Les livres en couleurs, honteusement relégués au fond d'une bibliothèque aux étagères dégarnies; la musique, jouée en cachette dans un appartement; les scènes de théâtre, dépourvue de son rideau rouge et de ses dramaturges; les vêtements de couleurs, qui valent à notre protagoniste un séjour dans la salle de théâtre reconvertie en salle de diffusion de propagande, avec cette vielle télé et ses vieux VHS supposés inculquer quelque bons "comportements sociaux souhaitables: Adaptation, obéissance et discipline". Il y a de quoi rire jaune, surtout quand c'est la couleur de son propre imperméable. Café Gris, dessins gris, uniformes gris, cahier de travail "Gris", cinéma gris en Techigrey, logos Gris pour la ville, programme de télésurveillance Gris, l'Usine GRIS, au l'aura vu disséminé un peu partout, sur les affiches, les objets, sur les gens, le Gris est omniprésent, en couleur, mais en nom aussi. Ouvrez l'oeil, votre malaise ne tient peut-être pas simplement au texte. D'ailleurs, les miens ont remarqué avec consternation l'emplacement de la bibliothèque, littéralement compressée sous l'un des immenses compartiments de l'usine GRIS, le B5. Il y a quelque chose de profondément heurtant dans cette image, quand on voit un lieu de diffusion du Savoir et de la Culture injustement tassé dans un coin indigne, comme un bâtiment non-essentiel, mais probablement laissé là à dessein. Après tout, dans un régime totalitaire, la Culture est soudain écrasée comme un cafard, si elle ne promeut pas les valeurs et les théories du Parti au pouvoir. Dans cette bibliothèque, les rayonnages ont dépouillées de ses livres aux couverture en couleur ou ayant des illustrations en couleur, remplacés par les huit ou dix livres officiels de GRIS. Et comme dans la sombre époque de l'Index au Québec, on retrouvera les vrais livres dans une pièce secrète, tout au fond, pour les lecteurs les plus audacieux qui iront les y chercher. Comme j'aime m'attarder sur la psychologie dans les oeuvre, je ne peux pas tourner un coin rond ( et gris) en ne mentionnant pas le très systématique et systémique processus d'homogénéisation psychosocial qui s'opère ici. Ce n'est pas seulement une histoire de couleurs, c'est une histoire de contrôle et le contrôle est plus simple à faire quand les différences sont faciles à voir et que la pensée est la même dans toutes les têtes. Il faut donc un cadre très rigide de comportements attendus, de codes esthétiques simplets, d'un minimum de diversité artistique ( voir aucune de préférence), de code de conduite avec un système punitif et infantilisant pour corriger les récalcitrants, etc. On retire les coiffures funky, les voitures se ressemblent toutes, le code vestimentaire est restreint à peu de chose et les bâtiments expriment un ennui et un cubisme affligeant de laideur. On assiste à de la bonne vieille dictature uniformisante, en somme. Dans ce monde, on pense en gris, parce qu'on veut que les gens se ressemblent tous. Ainsi, l'ordre, ou plutôt l"apparence d'ordre prend le pas sur tout et laisse un monde d'une implacable mécanique bien rodée. Quelle pitié que ce monde édulcoré et sans attrait, épuré de son potentiel créatif. Un monde contre-nature, pour une politique qui l'est tout autant. À partir d'ici, il y aura des divulgâches. Heureusement, comme j'aime souvent le rappeler, l'espoir est dans notre jeunesse, qui a le potentiel de réinventer le monde qu'il n'a pas encore contribué à façonner. Nina, en affichant son imperméable jaune, est par conséquent considérée comme un rouage défectueux, une sorte de vilaine tache dans le panorama gris. Après le vidéo moralisateur et la visite d'un "officiel" qui en sait pas mal trop sur elle, Nina se sent plus que jamais le besoin de réagir. Après avoir étudié la chromatologie dans un livre de la bibliothèque secrète, elle comprend alors que le gris, bien qu'il puisse être le produit du mélange entre le blanc et le noir, peut aussi être le produit des couleurs! Elle élabore un plan avec l'aide d'Alan, le garçon qu'elle a rencontré durant sa retenue, un autre porteur de couleurs comme elle, pour investiguer la compagnie qui produit la peinture grise. Après un sabotage des commandes du bureau de contrôle, des nuances de couleurs ont commencés à apparaitre partout et la compagnie ne pouvait plus mentir en arguant de pas avoir de couleurs, puisque son secret était percé à jour. Il ne fallut guère de temps aux citadins de retrouver leurs habits en couleurs, comme si un tout petit geste manquait aux gens pour oser. Il n'y eut ni violence, ni éclat, seulement un retour de teintes colorées dans la peinture. On peut déduire que les choses changeront progressivement. On peut aussi imaginer que les gens ne voudront plus faire marche arrière, ayant eu le gout d'un monde en gris, mais rien de garanti le retours de toutes les libertés. Pour le moment, seules les couleurs ont regagné leur statut. Et c'est un début. J'imagine que le bris de confiance envers les instances devrait être un bon catalyseur de changement, car maintenant que les gens savent les cachoteries du régime en place, il est plus facile de contester leur légitimité et moins adhérer aveuglément à leur perceptions du monde. Le texte est assez long, j'estime donc que pour une lecture seule, les 10-12 ans du 3e cycle sont les plus qualifiés pour cette lecture, et il en va de même pour la compréhension générale des thèmes de ce livre, quand même plus poussés que la majorité des albums jeunesse. Une lecture feuilleton pour les 8-9 ans reste envisageable, je pense qu'ils peuvent cerner le côté "oppressant" et absurde de cet univers, ainsi que le côté militant de Nina, qui part en croisade contre le méchant système. Quand aux ados, ça pourrait assurément leur plaire aussi et ils vont sans doute mieux cerner les détails semés un peu partout dans les non-dits et les illustrations. Peut-être pourront-ils faire des parallèles avec certaines dictatures réelles, également. Enfin, mention aux superbes illustrations en aquarelle, où le jaune est réellement puissant dans ce monde gris. J'aime que les tubes de peintures de la pages de garde reviennent dans la boutique de loisirs créatifs où Nina scrute les produits par sa vitrine. Toutes ces déclinaisons de gris, avec chacune son petit nom, a ceci de bien qu'il en va de même pour toutes les couleurs. S'il en existe autant seulement pour le gris, imaginez maintenant le répertoire chromatique entier! J'aime également que les plans varie, de manière à accentuer le ressenti du point de vue du lecteur: Plan en plongée pour cet homme officiel qui vient menacer Nina, larges plans panoramiques pour montrer les imposantes infrastructures de cette ville aux apparences de métropole, à la fois tassée sur elle-même en raison des gratte-ciels, mais aussi vaste au regard de l'Usine Gris qui occupe un espace déraisonnable dans la ville. Nina, mon petit poussin minuscule dans cet espace impersonnel et artificiel, me semble être le point focal sur lequel même nous, lecteurs, nous rattachons pour ne pas s'égarer dans cette immensité grise. Inversement, quand les couleurs se montrent enfin, elles occupent tout un espace, comme de petits coins de paradis bien cachés. Dans un style réaliste précis et rendu avec une minutie remarquable, monsieur Kuhlmann nous offre encore une fois de quoi régaler l'oeil. J'ajoute que ce style graphique rend aussi ses albums très large spectre sur le lectorat, autant pour les jeunes du lectorat intermédiaire que pour les ados, les jeunes adultes et les adultes. À l'heure où la démocratie recule dans le monde, il est sans doute bon de rappeler que nos droits et nos libertés tiennent à peu de chose et qu'il est somme toute facile de les contester au nom de la paix sociale et du maintient de l'ordre. Néanmoins, il serait également bon de souligner, comme cet album le fait, que les diversités jouent un rôle essentiel dans cette liberté et qu'elles sont menacées par des pensées et des visions radicales. Les arts, la culture et l'expression des différences sont d'excellents indices d'une santé sociale. Il importe d'entretenir une saine méfiance quand leur présence et leur expression sont menacées, car cela ne sera à l'avantage que d'un petit groupe avide de pouvoir et convaincu de leur propre importance. Et rappelons-nous que nous avons tous un pouvoir, celui de choisir ce que nous pensons et entreprenons. Pour un lectorat intermédiaire à partir du 3e cycle primaire, 10-12 ans *Critique d'Ileauxtrésors, Babelio, En ligne
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

Semer des soleils

Par Andrée Poulin et Enzo
(4,33)
2 personnes apprécient ce livre
3 commentaires au sujet de ce livre
1 commentaire plus récent
Incontournable Roman Février 2024 "Semer des soleils" est un hybride entre le roman graphique, le roman et la poésie, classé en "romans" dans notre librairie. Il s'attaque à un sujet sensible, mais toujours aussi pertinent: L'impuissance face à la guerre. Je rappelle que la littérature jeunesse est une boîte à outil autant qu'une source de plaisir et d'émancipation, il est donc normal et souhaitable que même les sujets les plus délicats soient abordés. Derrière la guerre, il y a des émotions désagréables, des notions contradictoires et une réalité difficile à traiter pour les enfants n'ayant connu que la paix. Avec sa poésie et sa délicatesse pertinente, Madame Poulin nous offre autant une piste de réflexion qu'une incursion dans la psyché d'un jeune humain. Théo ne s'y attendait pas, mais un jour, la guerre s'est invitée dans son salon. Sur l'écran de la télévision, des images choquantes, une violence insensée, des gens en danger. Et surtout, des tas de questions qui n'ont pas de réponse claires. Depuis deux mois, la guerre en Ukraine fait rage, accumulant les images pénibles à regarder et les actes d'une monstruosité absurde. Surtout, depuis deux mois, Théo ne sait pas quoi faire de ses questions sans réponses qui habitent sa tête. Alors que les gens tout autours semblent regagner leur normalité, Théo ne comprend pas comment c'est possible de faire comme si de rien n'était, comme si ce qui se passait si loin de son pays ne les concernait pas. L'impuissance le ronge et avec elle, son quotidien n'est plus paisible. Il a des cauchemars, ses questions se heurtent à l'impuissance de son père, qui ne sait plus quoi lui dire et lui demande de ne plus poser de questions. Théo regarde ses amis jouer à la guerre, alors que des enfants de guerre rêvent de jouer à la paix. Que faire? Que penser? Les illustrations sont de Enzo, un habitué des albums jeunesse ces dernières années et qui nous a encore une fois, livré un belle exécution, à la fois sobre et percutante. La couverture donne bien le ton. L'écriture est quelque part entre le roman et les vers libres. Il y a des titres pour les pages, mais pas de chapitres à proprement parler. Parfois, le côté concis du texte, rend le message encore plus percutant. Certains passages emploient la répétition ou l'accumulation. Enfin, parfois on est plus près de la poésie, mais parfois plus du dialogue. La structure est donc assez changeante. Attention, il y aura des divulgâches à partir d'ici. Le volet qui m'interpelle le plus est celui des émotions. Nous, les adultes, avons déjà tant souvent tendance à vouloir protéger nos jeunes qu'on invalide souvent, sans le vouloir, sur leurs émotions et leur ressenti. On veut les tenir éloigner des problèmes, qu'on juge trop gros pour eux ou hors de leur porté de compréhension, en se disant que si nous, nous ne pouvons comprendre un enjeu, alors il y ira de même pour eux. Il y a un peu de vrai, pas aussi tellement de faux. Nos jeunes ne sont pas stupides, et ils sont plus perceptifs qu'on veut bien le croire. Et surtout, dans un monde aussi intensément ouvert avec la technologie, nous avons une génération plus que jamais au fait de ce qui se passe dans le monde. Il importe alors, à mon humble avis, de faire le tri dans tout ça et de les accompagner. Les empêcher de voir et s’intéresser au monde est contre-productif, puisqu'ils en font partie. Ainsi, Théo est au fait de ce qui se passe actuellement en Ukraine, mais ç'aurait pu être un autre conflit majeur que la pertinence de cette histoire reste la même. Que faire quand on est un enfant sensible, conscient d'une réalité complexe et dans l'incapacité de se faire entendre? Au début, Théo ne peut que répéter ses questions, nourries par son sentiment d’injuste, d'impuissance et d'empathie. De grandes qualités, à mon avis. Mais ces émotions sont incapables d'être vécues, parce que personne ne s,intéresse à ses questions, il est même invalidé à leur sujet. Alors, il internalise. Il accumule. Il a mal. Des émotions qu'on ne peut ou on ne sait exprimer, ne peuvent que générer des conséquences désagréables, comme une humeur maussade, des nuits difficiles ou encore des frictions dans les relations interpersonnelles. Toutes des choses qui vont arriver à Théo. S'ajoute à ce portrait incapacité d'agir. Mais j'y reviendrai. Enfin, Théo fini même par externaliser de manière inadéquate en devenant violent contre ses amis verbalement , puis contre une poubelle physiquement. Les émotions qu'on refoulent tendent à sortir d'une autre façon et souvent, elles peuvent se manifester de manière inadéquate, comme c'est le cas ici. Théo fera la connaissance d'une jeune fille aux cheveux verts, qui a trouvé une façon d'exprimer ses frustrations face au conflit qui la ronge de l’intérieur elle aussi. Colombe a trouvé une façon d'externalisé ses émotions à travers les arts, le dessin sur les murs, plus précisément. Elle emploi un symbole, la colombe, qu'on doit à Pablo Picasso, qu'elle dessine sur les murs de brique d'une maison à l'angle de la rue. Je note que sa manière d’exprimer sa colère de manière constructive. On l'oublie, mais la colère est une émotion, elle a donc une fonction et contrairement au gros cliché populaire, la colère n'est pas forcément explosive et agressive. La colère, quand elle est gérée et orientée, fait des miracles. La colère peut permettre la mise en action face à une injustice, elle peut servir à défendre des causes ou empêcher des gestes déplacés. Elle peut rendre artistique. J'aime bien qu'on commence enfin à réinterpréter la colère, cette émotion trop souvent ultra-vulgarisé en crises de bacon ou en violence sociale. Ici, Colombe se permet de dessiner à la craie sur des murs, parce qu'elle se sent impuissante, en colère et qu'elle veut protester ( ce sont ses mots). Colombe offre à Théo la première marche à suivre: Prendre conscience de son émotion et chercher à la canaliser. Bientôt, Théo se met en action lui aussi. Il peint des pierres avec les noms des villes ukrainiennes bombardées, et va les placer sous les graines de tournesols que lui a confié Madame Léna, une femme d'origine ukrainienne qui est a voisine. C'est elle qui explique un autre symbole important pour ce livre: Le tournesol, "soniashnyk" en ukrainien, la fleur nationale de l'Ukraine. Plus tard dans l'histoire, Théo, son père et madame Léna vont entreprendre une levée de fond pour venir en aide aux ukrainiens, en vendant des "pierogis" sorte de pâtes farcies de patates, fromage et oignons ayant la forme de demi-lunes ( C'est super bon!). C'est une autre façon de se mettre en action et même les petits gestes sont porteurs. Le simple fait de se mettre en action est une victoire pour la paix. C'est d'ailleurs sur cette note que se termine le livre. Donc, à retenir: Trouver des alliés, c'est-à-dire des oreilles attentives, des épaules de consolation et des gens qui partagent nos valeur. Entendre ses émotions, c'est-à-dire les nommer et les prendre aux sérieux. Se mettre en action, c'est-à-dire trouver des actions qui font du bien pour gérer les émotions, faire des activités susceptibles d'influencer la cause ou valeur que l'on défend et prendre le temps d'en parler avec les gens que cela intéressera ou impliquera. Le passage sur le jeu de la guerre m'évoque une lecture que j'avais fait il y a quelques années sur ses implications. Entre autre détails, j'avais lu que les jeux de guerre peuvent avoir du bon, en ce sens où ce type de jeu permet de mieux cerner les limites physiques entre enfants, en ce sens où ça permet de voir que nous avons des limites imposées par la douleur ou la défense de son intégrité physique. Néanmoins, je pense qu'on peut ouvrir le débat en classe ou à la maison sur le sujet. Pourquoi jouer à la guerre? Quel plaisir en retire-t-on? Pourquoi y a t-il toujours deux camps opposée? Il y a clairement matière à débat ici, je pense et j'estime que les réponses seront plus nuancées qu'on le croit. D'ailleurs, Théo se fait une réflexion intéressante quand il réalise qu'après avoir hurlé et insulté ses amis, qui avaient un avis contraire au sien, que c'est peut-être ainsi que commencent les guerres. Un désaccord. Un refus de compromis. Un début de haine. Un refus de s'excuser. Bien sur, les raisons de partir en guerre sont innombrables, mais il tiens un bon début de réflexion. Cela interroge aussi la notion de conflit de valeur ou conflit d'opinion, et les habiletés que nous devrons développer pour les gérer. Enfin, je mentionne la petite Olga, jeune fille qui dans l'histoire est décédée en posant un pied sur une mine anti-personnelle, dans une maison abandonnée, en Ukraine. On a peint des dinosaures en couleur vives sur son petit cercueil. Théo est resté marqué par cet évènement et on peut le comprendre: Il réalise que des enfants meurent, dans une guerre. Il y a quelque chose de profondément révoltant dans à l'idée que des enfants n'ont pas tous les mêmes chances de survivre de part le monde et que malgré les conventions et les accords, des adultes se contrefoutent que des enfants meurent sous les balles, les obus, les gazes et autres joyeusetés typiquement humaines. Olga aura droit à sa pierre, comme les villes ukrainienne, dans le jardin de tournesols de Théo ( avec un petit dinosaure en bonus). Prendre acte de sa chance et de ses privilèges est, il me semble, une réflexion que permet de faire les conflits, au même titre que les iniquités sociales. En conclusion, il faut permettre à nos jeunes d'être entendus, mais aussi de leur permettre d'agir s'ils en ressentent le besoin. Agir mobilise le jeune face à ses valeurs, lui permet de les défendre, ce qui est une des fondations de notre estime de soi. Nous adhérons tous à des valeurs, partiellement ou complètement et elles nous façonnent, puisqu'elles nous habitent. Adhérer à des valeurs nous définit et ultimement nous construit en tant qu'individu. Nos jeunes ont le même besoin que les adultes, celui de croire en quelque chose et de lutter à divers niveaux pour elle ( ou elles). Il le feront à leur échelle et avec leurs mots, comme nous en sommes témoin avec les mobilisations pour le climat et pour les causes qui leur sont chères. Dans un monde rempli de conflits, militer pour la paix, lutter pour les causes sociales et faire entendre ses idées, est à mon sens impératif pour nos jeunes. Ils en sortiront plus solides, validés et engagés. Il font parti de la solution. Il me semble que de croire en notre jeunesse est le plus beau cadeau que nous pouvons leur faire dans la construction de leur identité, mais surtout le plus beau gage de confiance envers ceux et celles qui vont être les adultes de demain. En ce sens, je remercie toutes les autrices et les auteurs, qui à l'instar de madame Poulin, mettent en relief divers enjeux cruciaux à travers la littérature jeunesse pour que cette même jeunesse ait accès à des outils et des réflexions pour nourrir leurs besoin de compréhension et s'ouvrir au monde qui est aussi le leur. J'apprécie que la littérature jeunesse soit au service de la jeunesse, tout en les faisant rêver. Laissons nos jeunes semer des soleils, à leur façon. Pour un lectorat intermédiaire à partir du 3e cycle primaire, 10-12 ans+
1 commentaire plus ancien
Shaynning a commenté et noté ce livre

Elle lance, elle compte! La sélection M11

Par Catherine Roussel et Fanny Berthiaume
(2,0)
1 commentaire au sujet de ce livre
J'avais espoir d'avoir trouvé un roman avec une hockeyeuse comme personnage principal, mais quelques points ont refroidi mon enthousiasme. Laurence Bilodeau est une jeune fille qui aime le hockey et en fait depuis depuis quelques années. Elle intègre cette année le M11, qui inclut les joueurs de 9 et 10 ans. Malheureusement, elle est aussi victime de nombreuses injustices du fait d'être une fille, comme l'ignorance, autant des adultes que des autres joueurs, tous des gars. Résultat des courses, elle finit en classement B alors qu'elle a le niveau A. Déjà, je suis vraiment blasée de voir ENCORE une fille amoureuse, vraiment, les autrices? C'est impossible d'avoir une fille qui ne passe pas son temps à baver sur un gars? Vraiment, s'en est maladif. Donc, notre fille de 9 ans a le béguin pour le plus beau gars de l'école ( évidemment, quoi d'autre?) et va en dépendre pour progresser dans son estime de soi. Bon, au moins, je me dis pour me consoler qu'au contraire des personnages adolescentes de la dernière décennie, elle ne craque pas pour un Bad boy couillon, c'est toujours ça de gagner, mais j'aurais aimé une fille qui est autre chose qu'une pauvre petite victime qui a besoin que le plus beau gars de l'école la valide dans ses réussites et serve de motivation à faire du hockey. C'est trop rependu comme idée que les filles ont besoin d'un impératif masculin se sentir bien dans leur peau et sentent qu'elle sont inclues grâce à lui. Je dirais que c'est tout-de-même bien qu'elle est été appuyée, mais je trouve plus intéressante l'appui de son équipe B que de Monsieur "Tu es bonne pour une fille", alias le plus beau gars. Côté personnalité, on n'est pas sortie des clichés non plus. Laurence doute d'elle même, est très timide et se décourage aux deux pages. Comme 95% des personnages féminins de la littérature intermédiaire avec une romance, en somme. Être amoureuse et confiante en soi, c'est juste impossible, apparemment pour une fille. L'aspect que j'ai le plus apprécié est la présence du coach de l'équipe B, qui a vu en Laurence ses qualités et l'a réellement supportée sans jugement pour son genre. Les vrais coachs sont ainsi, ils reconnaissent les habiletés et les faiblesses de leurs joueurs et les soutiennent dans leur recherche de perfectionnement sans tomber dans la pression à la performance. J'ai trouvé le traitement autours de la maman un peu inutilement négatif. Je pense au passage où sa fille lui reproche d'avoir oublié son bâton et la mère s'en excuse: Laurence a 9 ans, pas 5, elle peut tout-à-fait gérer elle-même ses choses, il me semble. Un autre passage montre Laurence qui traite sa mère de "bizarre" parce qu'elle n,a pas la force de serrer ses lacets de patins assez forts. Et le début du roman montre les deux frères en pleine crise de Guerre Froide pour une broutille, alors que la maman est dépassée et ne gère rien du tout. La dynamique de la famille est épuisante à lire. Un dernier point dont je souhaite me souvenir ici: La tendance général à associer "différence" avec "ostracisation". J'avais remarqué le phénomène avec les personnages gays systématiquement victimes d'homophobie, mais les sportives sont systématiquement victimes de sexisme. Non pas que ce soit faux, c'est hélas un constat qui peut être réel, mais au Québec, ce n'est plus forcément d'actualité partout. Il y a une Ligue Nationale de Hockey Féminine maintenant, nos filles gagnent plus de médailles d'or que nos gars au hockey des Jeux Olympiques, des milliers de filles jouent au hockey, elles ne sont plus des exceptions. Et contrairement à Laurence, les pionnières n'étaient pas toutes de timides amoureuses facilement défaitistes, elles ont lutté avec caractère et aplomb, bien souvent. Bref, mon point est que ce serait bon de ne pas tomber dans une association automatique de souffrances-Sports: les hockeyeuses ne sont pas toutes des victimes et je ne pense pas que toutes apprécient qu'on le pense systématiquement. Ce n'est que mon avis, bien sur et ce roman n'est pas les seul qui m'inspire cette réflexion. Mon ressenti général est quelque part entre l'agacement et la lassitude. Ce n'est ni original, ni pertinent et pas spécialement entrainant. C'est dommage, j'en cherche des histoires de sportives, mais je n'arriverai pas à défendre ce roman en librairie, surtout que même son français est assez basique. Je ne suis donc pas convaincue. Néanmoins, je comprendrais tout-à-fait que les jeunes lectrices qui ont tant besoin de sentir représentés en littérature sportive s'y retrouvent mieux que moi. Pour un lectorat intermédiaire du 2e cycle primaire, 8-9 ans+
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

Armelle et Mirko T.2 : Le voyage

Par Loïc Clement, Julien Arnal et Anne Montel
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Un tome 2 tout aussi beau et poétique, une des rares Bd intermédiaire BD où la plume est gracieuse et élégante, portée par des illustrations d’une infinie douceur et une palette de couleur apaisante. Un vrai bonbon au miel. Dans ce tome, on parle d’émancipation sociale. Je me faisais la réflexion à la fin du tome 1: Armelle a un ami qui la complète bien et il lui sert à éviter la pénombre qu'elle craint tant. Cela-dit, on est dans l'évitement. Je me disais que le personnage d'Armelle devra , un jour où l'autre, faire face à ses peurs et surtout, ne pas finir par dépendre de Mirko. Dans le second tome, malgré leur plaisir manifeste de se côtoyer et la saine relation qu'ils entretiennent, Mirko a une âme vagabonde qui éprouve le besoin de voyager. Il a donc bientôt le désir de repartir. Armelle ne cherche pas à le retenir, mais on comprend que ce départ lui pèse. Elle peut craindre de se retrouver seule à nouveau et face à sa peur du noir, mais en réalité, elle a fini par la surmonter grâce , notamment, à sa estime de soi plus solide, mais aussi parce que ses pensées sont orientées ailleurs que sur ses angoisses. Et là, dans ce superbe décor naturel, un nouveau personnage apparait. Un lièvre "lent", qui prend la vie avec un flegme contemplatif, s'adresse à Armelle. Puis, c'est une renarde végétarienne qui entre dans la vie d'Armelle. On peut apprendre à faire confiance et il n'est jamais trop tard pour se découvrir de nouvelles amitiés. Voir cette tortue si timide et insécure passer doucement à une vie sociale active, qui lui convient, où le respect, les intérêts communs et la saine communication en sont des fondations solides et saines, c'est juste beau. Et ainsi, on voit Armelle se détaché de sa dépendance envers Mirko. Quand ce dernier réapparait, c'est pour mieux se retrouver et se réjouir des avancés de l'autre. Armelle et Mirko ont atteint un nouveau pailier de relation, celle d'une amitié paritaire et capable de survivre aux absences, tout en s'adaptant aux intérêts spécifiques de par et d,autre. On comprend qu'avec ses nouvelles amis, Armelle peut s'orienter sur des intérêts propres à elle, alors que Mirko peut voyager selon ses envies. Les vraies amitiés n'ont pas besoin forcément d'être de proximité continue et elles peuvent vivre en parallèle de d'autres sphères amicales. Surtout, elles acceptent les compromis, les absences, les besoins qui peuvent varier entre les membres et se réjouissent sincèrement quand un des membres connait des évolutions favorables. À mes yeux, les amitiés de cet univers bédéesque sont merveilleuses, saines et riches. Elles constituent de beaux modèles amicaux. Je remarque que les nouveaux personnages sont aussi des atypiques, des hors-norme. Pépin le lièvre est considéré comme "trop lent", alors qu'il prend simplement le temps de vivre et d'apprécier la beauté du monde. Fabienne est végétarienne dans un monde de carnivores. Ce qui est bien dans leur petit groupe est l'ouverture d'esprit des membres, mais aussi le fait qu'ils sont bien dans leur différence. Il faut dire aussi que dans la différence, on peut se ressembler et s'apprécier. Et avec de vrais amis, on peut être soi-même. Une autre superbe Bd toujours touchante et assurément pertinente, un bijou en matière de relations interpersonnelle, à la fois simples, mais complètes et authentiques, dans un décor idyllique presque onirique. Pour un lectorat intermédiaire du 2e cycle primaire, 8-9 ans.
Shaynning a apprécié, commenté, noté et aimé un commentaire à propos de ce livre

MOFO

Par Olivier Simard et Marie-Ève Fortier
(4,25)
4 personnes apprécient ce livre
2 commentaires au sujet de ce livre
1 commentaire plus récent
Incontournable Novembre 2021 Je peux vous dire qu'on a été étonné par novembre cette année, dans le département jeunesse en matière de livres destinés aux jeunes hommes. En un mois, on a reçu des titres tels que "Politiquement incorrect", "Jimmy Diamond est une merde" et "Mofo"[ Mo***r Fu****r] le principal concerné. On a même reçu "My dear Fu****g prince" ( une homoromance écrite par des femmes). Coupdonc! Que se passe-t-il avec les titres?! ( ton de rigolade) Bon, tout ça pour vous dire que nous avons reçu plusieurs romans destinés aux gars même si, évidemment, des filles peuvent les lire, dans la catégorie des Jeunes adultes ( 17 ans et +), avec , avouons-le, une amusante touche impertinente. Mais quel libraire je serais de ne pas m'en réjouir, car c'est un pied de nez à la censure - et soyons honnête, la Jeunesse est beaucoup plus censurée que la littérature adulte. Bon, trêve de hors-sujet. Donc, qu'est-ce que "Mofo"? Je veux dire, au-delà de son sens premier qui est sans doute la pire insulte anglophone qu'on puisse faire à quelqu'un et qui, ironiquement, correspond aussi à un terme qu'on emploie entre chums de gars. C'est la tranche de vie de trois gars, trois amis presque devenus "hommes" et qui, avouons-le, sont de vrais couillons - pour rester poli. Manu ( Emmanuel de son nom complet), Ray ( Rémi de son nom complet) et Thierry ( qui voudrait dont qu'on l'appelle "Blase") ont tous 16 ans ou presque. Ils se font appeler ( surtout entre eux, en fait) les "Rois de la Jungle" et si ce nom vous fait sourire, ça vous fera sans doute rigoler de savoir qu'ils ont choisi ce nom en fonction de petits manèges sur ressort en forme d'animaux, dans "leur" air de jeux. Leur "spot". Nos trois ado-presque-adultes sont des as des mauvaises idées, vadrouillant au gré de leurs envies, buvant et consommant des drogues à défaut d'avoir de réelles ambitions, la tête remplie d'infos douteuses pigées sur les réseaux virtuels et de vraies quiches en matière de compétences sociales. Des "losers", j'ai envie de dire, qui se prennent un peu trop au sérieux. Et ils ont en tête que pour devenir des hommes, des "vrais", il faut qu'ils parviennent à se défaire de leur gênante virginité. Pour se faire, ils décident de faire un trip à Blackburn, un petit village où on y trouve , semble-t-il, trois filles pour un gars. Un tel déséquilibre ne peut générer que des femmes "en manque de sexe", semblent-ils croire. C'est donc au volant du véhicule de la mère de Manu, sans permis, sans bagages, que nos trois bras cassés entreprennent le road trip qui devrait, en théorie, changer leur vie. Avec des conséquences bien réelles. Comme le dit si bien la 4e de couverture: " Mofo raconte l'histoire de trois ados un peu croches qui essaient maladroitement de devenir des hommes". C'est juste. Et à travers tout ça résonne aussi certains petits drames et enjeux sociaux. J'ai rarement des romans pour ados garçons- encore moins pour jeunes adultes - qui versent dans ce genre de registre. Certes, des ados croches qui cumulent les bourdes et les mauvaises décisions, on connait, mais trouver quelque chose d'humain à travers tout ça, beaucoup moins. "Mofo", c'est un peu de masculinité toxique, beaucoup d'ignorance et de manque d'expérience, un chouia de drame familial, c'est du potentiel gaspillé parce qu'il n'y a aucun support constructif autour, de la désinformation via les réseaux sociaux et Internet, un certain laxisme parental ou au contraire, un manque de compétences parentales, beaucoup d'idées stupides et impulsives, de vaines tentatives de se valoriser, de vraies tentatives pour changer, sans y parvenir, des liens tissés serrés malgré des mots un peu dissonants et un peu pas mal de quête identitaire. Un roman aussi "all dress" que le hamburger sur la couverture. Aussi, après avoir écouté un reportage sur le sujet, il m'est apparu que le personnage de Ray semblait avoir une certaine compulsion à s'entraîner chaque jours, même lors du road trip, ce qu'on appelle "bigorexie". Il s'agit d'une dépendance au sport, qui se traduit par un besoin irrépressible de s'entrainer, sans considérer que le surentrainement comporte des risques pour la santé. La personne déprime s'il elle ne s'entraine pas et articule sa journée en fonction de cet entrainement. On appelle aussi la bigorexie "Anorexie inversée". Souvent causée par un problème affectif ou d'estime de soi, la bigorexie rentre dans les dépendances comportementale.(1) Ray a donc un forme encore peu connue de dépendance et j'apprécie beaucoup la fenêtre qu'y est ainsi faite sur le sujet. Le roman a un côté "fresque" en ce sens où les courts chapitres sont souvent des aperçus des autres personnages qui apparaissent ( ou pas) dans le roman. On suit donc à la fois le périple, mais aussi les antécédents des trois ados via ces personnages ( ou pas, parfois c'est juste pour mieux cerner le contexte). Manu, celui qui décrit, est aussi beaucoup plus intelligent qu'on pourrait le croire à priori, et ça, c'est marquant, parce que c'est un phénomène bien réel. Pas besoin d'être l'intello de l'école pour être intelligent. Par contre, quand on ignore quoi faire de sa vie, ni comment, même les plus intelligents peuvent vite devenir "loser". Ça m'a tellement fait rire le fait que Manu se fasse reprocher ses "jolis mots" ( développer, vertigineux, etc.), ça laisse entrevoir son côté Lettres ( Et Intello) et c'est mignon. Bon, ce l'est moins quand il se fait reprocher d'avoir un langage de "Tapette", mais bon, comme je disais, ils sont assez couillons. J'aime ce genre de roman, cru, un peu brutal, mais ancré dans la réalité. "Mofo" n'est pas juste une suite de bêtises et de gros mots, c'est aussi une fenêtre intéressante sur la psyché de certains gars et même de l'adolescence de certains gars. Ou plus globalement, du fait se franchir le cap entre adolescence et adulte. On n'a pas souvent des romans pour être dans leur tête. La plupart du temps, les héros masculins sont dans l'action, pas dans l'introspection. Ou très peu. Ici, on navigue dans quelque chose de plus intime, de plus humain. Et sans censure, sans fioritures. N'allez pas croire que parce qu'on y trouve des jurons et un langage vulgaire, souvent ponctué d'anglicismes , particulièrement à l'oral, que le roman n'est pas bien écrit. Hormis le langage, le reste est imagé, bien narré et on a foison de références à la culture populaire, aux objets du quotidien et à la vie du citoyen lambda. Langage de rue, terrain connu, on est à des années-lumière des histoires sensationnelles américaines irréalistes. Et en toute honnêteté, ça fait du bien. Manu a un talent en dessin, dont les oeuvres vont nous suivre dans le roman. Sans vous divulgâcher la fin, disons aussi que leur "rêve éveillé" connait une tournure aussi inattendue qu'irréversible. Bref, je vois que j'exagère encore sur la longueur de cette critique, mais bon, les bons romans sont inspirants, que voulez-vous! "Mofo" surprend par sa pertinence, malgré son côté "croche". Je vous invite à découvrir ce roman singulier, à sa manière. Pour un lectorat Jeune adulte, 17 ans+. Quoique ça pourrait aussi trouver preneur chez les 15-16 ans, il me semble. 1- Source: Sport Aide [ en ligne]: Bigorexie : Quand le sport devient une addiction, 27 mars 2020: https://sportaide.ca/blog/2020/03/27/bigorexie-quand-le-sport-devient-une-addiction/
Shaynning a apprécié, commenté, noté et aimé un commentaire à propos de ce livre

Toucher les étoiles

Par Frédérick Wolfe
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
2 commentaires au sujet de ce livre
1 commentaire plus récent
Incontournable Février 2022 Avec ce roman de 2022, Frédérick Wolfe reprend le thème de l'abus d'un adulte sur un enfant, mais cette fois, il s'agit d'un père exerçant une pression psychologique sur sa fille avec des attentes trop lourdes motivées par de hauts standards de performance, ce qui entre dans la maltraitance psychologique. Madeleine vient d'avoir onze ans et elle danse le ballet classique. Si cette danse, elle l'aime et elle lui procure beaucoup de plaisir, ce n'est cependant pas la seule chose qu'elle sache apprécier. Néanmoins, son père, Olivier Toussaint, est ce genre d'homme qui ne vise rien de moins que le sommet de la pyramide et il tend a s'attendre des autres d'avoir eux aussi de hautes attentes. Alors, pour sa fille, son "Étoile", il augmente progressivement la pression: aménager un petit coin barre-et-miroir dans sa chambre, puis demander à son professeur de ballet plus de rigueur et d'attention sur sa fille. Puisque cette prof ne semble pas en faire assez, il désinscrit Madeleine de son cours - qu'elle adore - pour lui trouver une professeur privée très rigoureuse, en vue de faire les auditions pour l'École Nationale de Ballet , à Toronto, ce qui implique donc aussi d'y déménager. Une famille de la connaissance de son père peut même l'héberger et il lui faudra apprendre l'anglais. Pour la jeune Mado, la vie devient de plus en plus morose, marquée par un travail exigeant sur le ballet, les chicanes de plus en plus fréquentes entre ses parents et de forts sentiments de culpabilité, d'ambivalence et de recherche d'approbation. Mado veut que son père soit fier d'elle et devenir la jeune femme qu'il souhaite la voir devenir, mais le temps passant, plus il est évident que la perceptive de vivre loin de sa famille et de voir le ballet devenir plus un poids qu'une passion gérèrent un état d'anxiété très important chez elle. Un état qui interpellent tous les adultes autours d'elle, sauf son père. Saura-t-elle dire tout ce qui pèse sur sa conscience et son coeur? J'observe cette histoire avec la conscience que ce genre de chose est malheureusement très rependu, tout particulièrement à notre époque où la quête de performance est à tous les niveaux des sphères sociales: sociale, conjugale, scolaire, professionnelle, financier, physique, esthétique, etc. Jamais n'aura-t-on vu une course aussi effrénée pour surpasser tous les autres. Plusieurs parents projettent leurs attentes élevées sur leurs enfants, souvent avec de bonnes intentions. Hélas, n'étant ni des machines, ni des dieux, ni même des adultes, les enfants et les ados se retrouvent plus souvent qu'autrement aux prises avec des troubles anxieux, une estime et confiance de soi fragiles et peinent à atteindre cette voute céleste tant espérée des parents ( et de la société aussi). Dans l'esprit de certains parents, pour s'accomplir dans la vie, pas le choix: Il FAUT être le/la meilleur. Et pour ça, tous les moyens sont bons. Donc, c'est dans cette optique que se situe l'histoire ici. Au début, on sent que le papa souhaite surtout voir sa fille atteindre un plein potentiel dans cette discipline sportive qui lui tient si à coeur. Rapidement, néanmoins, c'est une spirale de pression, d'attentes et d'objectifs qui font basculer l'harmonie familiale. Cette spirale de performance s'accompagne d'un évident comportement passif-agressif, qui est tour-à-tour cajoleur, motivateur et confiant à colérique, punitif et verbalement dévalorisant. La jeune Mado est poussée à être "une fille de onze ans" selon les standards de son père, ce qui exclut sa peluche préférée, les pleurs, la tendresse maternelle et plus généralement toute forme de défaitisme. "Penser en vainqueur", diront-on. On peut voir l'état d'anxiété de Mado prendre forme, en maux de ventre, en crises d'angoisse, en insomnie et en craintes infondées qui s'invitent dans ses pensées. On appelle ça des "pensées intrusives". Pour un/e enfant, tous ces éléments ne sont absolument pas sains et normaux. En parallèle, on observe l'érosion du couple de ses parents et elle en prend le blâme, comme on l'observe souvent chez les enfants de couples en instance de divorce. Mado croit être le sujet de leur discorde, ce qui est en partie vraie: La mère de Madeleine ne cautionne pas les comportements de son conjoint, qui pousse trop sa fille. Mais comme elle le dit elle-même, les enfants ne sont pas responsables de la relation des parents en elle-même. En somme, on observe une jeune fille joyeuse et aimant la danse devenir une jeune fille terrifiée, mal dans sa peau et épuisée. On sent que le coeur n'y est plus en ballet, le sourire est de façade, la mécanique de son corps est bien huilée mais impersonnelle. C'est triste et ce l'est d'autant plus que le ballet classique étant un Art et un sport: ce ne devrait jamais être une obligation, mais bien une passion. J'ai d'ailleurs été agréablement surprise par les juges de l'école de Ballet de Toronto quand ils ont abordé en ce sens, vers la fin. On a une fin en clair-obscure: claire parce que Mado se sent libérée et retrouve une part de son insouciance heureuse que devrait avoir tous les enfants, mais obscure parce qu'il semble que l'unité de sa famille ne retrouvera pas de sitôt sa solidité. Je salue le personnage de la maman, Nadège, qui a su mettre le hola! quand il l'a fallut, plutôt que d'accepter la situation. Ça ne semble pas simple de gérer un conjoint(e) ambitieux et exigeant. Le roman est articulé simplement, au "je", avec somme toute le niveau de vocabulaire des 11 ans, sans pour autant tomber dans le "mauvais français". On retrouvera plusieurs formulations et termes en français québecois, surtout dans les dialogues ( à l'oral), mais rien de méchant. Il n'y a pas de chapitres à proprement parler. Un bon petit livre qui fait réfléchir sur un sujet très actuel et très répandu, assez réaliste et psychologiquement crédible. Il va vraiment falloir ouvrir davantage le dialogue sur la scène sociale pour dénoncer cette forme d'abus, car oui, le chantage émotif et la pression de performance excessive, sont de la maltraitance psychologique. C'est donc une forme de violence parentale. Passez le mot! Pour un lectorat du premier cycle secondaire, 13 ans+.
Shaynning a apprécié, commenté et noté ce livre

Blaireau et Putois T.1: Blaireau et Putois

Par Amy Timberlake et Jon Klassen
(4,0)
1 personne apprécie ce livre
1 commentaire au sujet de ce livre
Incontournable Février 2022 Version courte: "Blaireau et Putois" est un roman à couverture rigide illustré destiné à un lectorat jeunesse d'environ 9-10 ans, où deux animaux aux antipodes l'un de l'autre deviennent colocataires. On notera dans le récit une ouverture à la différence, au danger des préjugés persistants, aux joies simples, ainsi qu'une mise en garde contre les mots blessants et la rigidité d'esprit. Roman universel qui convient à tout groupe d'âge par la porté de son message, cette histoire aux accents tantôt comiques tantôt dramatiques s'ajoute aux bons romans des états-unis destinés à la jeunesse. Version exhaustive ( parce que les bons livres méritent qu'on s'y attarde un peu): Petit point erroné ici: il y a une erreur évidente par rapport au titre. Dans la version originale "Shunk and bagder" aura du être traduit "Moufette et blaireau". Ce constat se confirme quand on observe les images de Klassen: C'est bien une "moufette", l'animal à fourrure noir barrée de blanc, ayant une queue touffue. Le "putois" est un animal européen au pelage brun, à la queue mince, mais qui dispose du même système de défense malodorant. Donc, on a le bon animal en dessin, mais pas dans le texte. En faisant quelques recherches, la confusion est fréquente et ce genre d'erreur ne fait qu'accroitre plus encore cette confusion. Considérant que l'histoire est états-unienne et les images également, il me semble qu'il aurait fallut garder le bon nom pour "Moufette". le mot "putois" n'est pratiquement pas utilisé en Amérique du nord et avec raison: on en a pas! Même constat pour Lula, qui est une "martre des pins" dans la version présente, mais une fois encore, cet animal est européen uniquement. La martre à tête grise en revanche, est américaine. Je sais qu'on traduit parfois avec des animaux connus des jeunes, mais c,est une mauvaise idée. Ça risque surtout de semer la confusion et ne respecte pas l'origine de l'autrice et de l'illustrateur. Je vois mal comment on pourrait changer un panda ou une girafe par un autre animal, par exemple. Mais j'extrapole là. Sinon, qu'avons-nous? Une histoire de colocataires, avec ce côté vieillot qui me rappelle ces vieilles histoires en littérature jeunesse où on remplaçait les humains par des animaux pour faire passer des messages. Parce que c'est bien de ça qu'il s'agit au fond: traduire des réalités très humaines: celle des préjugés ethniques, des habitudes rigides et de l'amitié. Blaireau est un spécialiste des "roches et minéraux", il y consacre religieusement tout son temps, de manière routinière qui ne déroge jamais à quelque variantes fantaisistes que ce soit. Mais la maison de grès brun qu'il habite n'est néanmoins pas sa propriété. Elle lui a été prêtée par Tante Lula, une martre, qui veut lui donner une chance de mener ses projets de recherche tout en gardant la tête hors de l'eau côté finances. Mais sa tanière de quiétude organisée va être investie d'un nouvel habitant: Putois ( qui est une moufette). Putois est malheureusement victime de la réputation des gens de son espèce et Blaireau, quand il apprend que Putois est son nouveau colocataire, lui fait un accueil vraiment peu respectueux ( Notamment lui donner le placard comme chambre). Cependant, comme on s'en doute un peu, Putois n'est pas le petit animal malpropre de base extraction comme semble le penser Blaireau, mais au contraire un animal cultivé, curieux, enjoué, socialement engagé et même habile cuisinier. Il lui fait faire connaissance avec les poulets du quartier, lui fait découvrir des livres et partage ses succulents déjeuner en échange de sa contribution au lavage des plats. Bref, tout semblait aller bien et peut-être même lui faire regretter d'avoir demandé à Tante Lula de le faire partir, jusque dans une situation particulière, Putois doive se servir de son "jet" pour chasser un très déplaisant rôdeur. Alors, Blaireau utilise le mot de trop. Il est difficile de ne pas voir ici les préjugés de certains états-uniens contre les minorités visibles comme les communautés racisés comme les afro-américains, les autochtones, les mexicains, les chinois, les immigrants/migrants fraichement débarqués et même la communauté LGBTQIA+ ( Quoique ces groupes peuvent avoir les mêmes soucis ailleurs dans le monde, mais je m'en tiens à ceux du pays concerné) . Tous ces groupes qui ont des étiquettes de "nuisibles" à un moment ou à un autre de l'histoire de ce pays ou dans certains foyers actuels. Ce n'est pas toujours simple, mais l'élément clé est de donner la chance au coureur: Quand on ne connait pas la personne, autant lui donner une chance de se faire connaître. le problème avec les préjugés, ce n'est pas d'en avoir, c'est d'arriver à passer par-dessus. C'est un roman tranquille, je dirais, très tranche-de-vie, avec ses petits moments mignons, ses petits amicaleries maladroites et ses péripéties cocasses. Ces poulets m'auront turlupinés un peu, tout-de-même: est-ce que ce sont des équivalents de chats? Ou des membres de la communautés? Comme il y a une librairie pour poulet, je suis tenté d'aller pour la seconde option, mais que penser du fait qu'ils ne parlent pas comme tous les autres animaux? Simple différence de langue, peut-être. Comme je les ai trouvés choux ces poulets! Côté écriture et sujet, je dois avouer que suis perplexe- dans le bon sens. Comme le tout est simple à lire, j'aurais tendance à dire que les 9-10 ans devraient être à l'aise, et en même temps, je me demande comment ils vont percevoir cette histoire, qui me semble presque destinée aux adultes. Curieusement, la tolérance, c'est souvent plus un enjeu d'adultes que d'enfants, parce qu'ils sont assez généralement plus tolérants face à la diversité ethnique. Je pense que ce roman est peut-être tout simplement de ce genre qui peut être universel. Les personnages sont adultes, d'ailleurs, ce qui est somme toute rare en littérature jeunesse. En ce sens, je verrai même ce roman dans les mains de nos aînés qui se cherchent une histoire au français pas trop compliqué et au format plus court que les romans usuels pour adultes. Des intéressés? Sinon, ce côté "adulte" est peut-être aussi accentué par le style d'illustrations de Klassen, que je trouve naturellement vieillot avec ses tons sépia, ses lignes hachurées et le style des vêtements et autres objets. On pourrait aussi bien être en 1950 qu'en 2022 - quoiqu'il n'y a d'écrans nul part et on communique par la poste. Et puis, cette passion pour les pierres m'aura bien fait sourire, parce que je pense à mes petits lecteurs qui les apprécie, eux-aussi. Vous seriez étonné de voir combien de jeunes aiment admirer la diversité des minéraux et roches, on vend même des boitiers avec une douzaine d'entre elles pour nos amateurs en géologie. Alors quand je vois ces même pierres sur les pages de garde, je me fais la réflexion que ça peut sembler "vieux" comme sujet, mais en fait pas tant que ça. Pour en revenir à Blaireau, notez que sa passion qui occupe ces jours et ses pensées semble suivre une progression très lente qui génère une vie très routinière. Même repas de céréales, même 12 articles à l'épicerie. Blaireau ne s'est même pas rendu compte des merveilleuses boutiques à deux pas de chez lui! Une librairie, un magasin de tartes, un parc! Donc, au-delà du simple sujet de la tolérance et des jugements persistants, il y a une dimension très intéressante sur le plan de la "vie" dans son sens global. Profiter de la beauté de Mère Nature, développer des liens et des relations sociales, se trouver des hobbies, tenter des expériences, gouter de nouveaux plats, etc. "Sortir de sa zone de confort". On oublie trop souvent que ce sont les petites choses qui font les grands bonheurs ( ou du moins le bonheur durable). Blaireau va évoluer avec Putois ( Arf, "Moufette!) parce que celui-ci a justement compris cela. Il vit avec un tel enthousiasme pour tellement de petites choses, s'en est beau à voir, et il embarque Blaireau dans cette vision de la vie. Ça me rappelle l'adage suivant: "Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin". Dernier petit point que j'aimerais mettre en lumière: Cette idée du "mot de trop". Dans ce roman, c'est le terme "Nuisible" qui est le gros mot tabou, celui qui désigne en un mot le ressenti à l'endroit du groupe visé par le stigma. Les mots font mal, quand on connait leur contexte précis. En cela, malheureusement, chaque groupe minoritaire a les siens. Même les femmes, à une époque, avec comme mot phare "Incapable". Je pense que c'est un bon choix de l'autrice d'avoir su mettre un accent particulier sur les mots qui font mal, au-delà des gestes blessant et des considérations moindre qui sont souvent aussi du lot. Parce que les mots, les enfants les apprennent à l'école, on peut encore travailler là-dessus, avant que devenus adultes, ils les intègrent et les emplois à mauvais escient ou de la "mauvaise" façon. Comme ici. Les mots peuvent blesser, parfois même plus qu'une gifle, parce qu'ils deviennent alors des fardeaux qui nous suivent partout, comme ce pauvre Putois, qui traine "Nuisible" sans doute dans sa petite valise rouge ficelée. Tiens, me voilà poète! Enfin, l'ouverture de la fin est très jolie et pleine d'espoir, avec un Blaireau pleins de projets et moins matérialiste, et un putois enfin considéré à la hauteur de sa bienveillance et de sa personnalité solaire. Peut-être y aura-t-il une suite? Et on a même un symbole très beau à la fin avec cette patate qui germe aussi surement que l'amitié des deux colocataires. Un roman universel, donc, et un bel ajout à la littérature jeunesse états-unienne assurément, bien amené et où tous les groupes d'âge peuvent assurément y trouver leur compte. Attention, c'est souvent le cas en jeunesse, mais ici je pense que c'est simplement plus évident. "Blaireau et Putois" est un peu comme un sucre à la crème, ça fond dans la bouche, réconfortant, et ça a de petites notes nostalgiques tout en restant assez classique. Pour un lectorat à partir de 9-10 ans en montant.